Umberto Giordano
Fedora
Opéra en 3 actes
du 12 au 21 décembre 2024

Direction musicale Antonino Fogliani
Mise en scène Arnaud Bernard
Scénographie Johannes Leiacker
Costumes Johannes Leiacker
Lumières Fabrice Kebour
Vidéos Paul-Henry Rouget de Conigliano
Direction des chœurs Mark Biggins
   
Princesse Fedora Romazoff Aleksandra Kurzak / Elena Guseva
Comte Loris Ipanoff Roberto Alagna / Najmiddin Mavlyanov
De Siriex Simone Del Savio
Grech Mark Kurmanbayev
Comtesse Olga Sukarev Yuliia Zasimova
Boleslao Lazinski David Greilsammer / Jean-Paul Pruna
Lorek Sebastiá Peris
Cirillo Vladimir Kazakov
Baron Rouvel Louis Zaitoun
Boroff Igor Gnidii
Sergio Georgi Sredkov
Nicola Rodrigo Garcia
Dimitri Céline Kot
Désiré David Webb

Chœurs du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande

Fedora

Grand Théâtre de Genève

Vos critiques

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Revue de presse

Complots russes avec le retour de FEDORA

Stéphane Lelièvre - bachtrack.com - 18 décembre 2024

source: https://bachtrack.com/fr_FR/critique-fedora-giordano-alagna-kurzak-bernard-fogl…

 

Le répertoire fin de siècle italien, si mal aimé des directeurs de théâtres, sortirait-il lentement d’un long purgatoire ? Après Francesca da Rimini il y a déjà quelques années à l’Opéra Bastille, et plus récemment Il piccolo Marat à Angers, Edgar à Nice, Andrea Chénier à Lyon et Paris, voici Fedora de Giordano au Grand Théâtre de Genève, où l’œuvre n’avait plus été représentée depuis quelque 120 ans. Au fil des trois actes, les personnages de Fedora passent de Saint-Pétersbourg à Paris puis à l’Oberland bernois : de quoi rendre légitime le retour de l’œuvre en Helvétie ! Pour l’occasion, Aviel Cahn a vu les choses en grand, invitant le couple Kurzak-Alagna à faire ses débuts sur la scène du Grand Théâtre.

Le jeu en valait-il la chandelle ? Oui, certes, dans la mesure où il est toujours intéressant de (re)découvrir une œuvre qui remporta en son temps un grand succès, fût-ce pour conclure qu’elle semble aujourd’hui de qualité un peu inégale…

L’histoire de Fedora est des plus simples : une femme accuse à tort un homme d’être l’assassin de son fiancé. Elle le dénonce, mais finit par tomber amoureuse de cet homme. Apprenant in fine qu’il est en réalité innocent, elle se suicide. Pourquoi diable, sur un canevas aussi simple, avoir greffé autant d’actions et de personnages secondaires (une comtesse russe, un pianiste polonais, quantité de domestiques, un petit Savoyard…) qui encombrent l’intrigue et brouillent sa lisibilité ? Les motivations des personnages principaux en deviennent confuses et l’on peine à s’intéresser à leur sort malgré la musique de Giordano, elle aussi quelque peu inégale mais réservant de très beaux moments, notamment au dernier acte.

Le metteur en scène Arnaud Bernard a eu une idée fort intelligente pour redonner vie à cette Fedora : il situe l’action à l’époque de la Russie post-soviétique, alors que les kompromats (complots destinés à discréditer une personne par la diffusion d’informations compromettantes) sévissent de manière inquiétante. Vladimir, le fiancé de Fedora, en est la première victime, assassiné, dans un prologue glaçant, lors d’ébats amoureux organisés de toutes pièces par ses ennemis. Dès lors, tous les personnages de l’intrigue deviennent de possibles espions, chaque miroir devient suspect, chaque meuble, chaque plante est susceptible de dissimuler une caméra. Ce parti pris nous vaut un prologue et un premier acte très forts, mais le metteur en scène n’en exploite pas par la suite tout le potentiel dramatique : au dernier acte notamment, un retour à l’ambiance si oppressante des premières scènes, alors que meurt l’héroïne, aurait permis de boucler la boucle et de donner plus de force à cette lecture.

Musicalement, la soirée est globalement une belle réussite. Antonino Fogliani dirige avec goût un Orchestre de la Suisse Romande au mieux de sa forme. Soucieux de ne pas trop en faire, il joue la carte d’une sobriété bienvenue, quoique parfois excessive : on aimerait qu’ici ou là, le chef lâche un peu plus la bride aux musiciens et s’autorise des contrastes, des climax plus flamboyants afin qu’on puisse, ne serait-ce que ponctuellement, s’abandonner au plaisir coupable du mélo et de ses excès ! Vocalement, la satisfaction est au rendez-vous, grâce tout d’abord à une formidable équipe de seconds rôles d’où se distinguent l’Olga de très belle tenue de Yuliia Zasimova et l’excellent De Siriex de Simone Del Savio, au superbe timbre et à la ligne de chant châtiée.

Le couple vedette enfin remporte un très beau succès. Roberto Alagna (le comte Loris Ipanov) s’investit pleinement dans ce rôle riche et émouvant qui contribua à lancer la carrière du jeune Caruso. Après quelque quarante ans de carrière, la voix du ténor français a conservé une facilité étonnante dans la projection. Le panel de nuances pourrait certes être parfois plus varié, mais l’émotion est bien au rendez-vous, notamment dans le « Amor ti vieta » et le beau duo d’amour du deuxième acte.

Dans le rôle-titre, Aleksandra Kurzak, qui marche ici dans les pas de Magda Olivero, Renata Tebaldi, Maria Callas ou Mirella Freni, reste un peu froide au premier acte et ne dispose peut-être pas tout à fait de la projection, de l’élan (les Italiens disent le slancio) nécessaires lorsque l’héroïne s’abandonne à certains éclats vocaux. Elle est en revanche pleine de sensibilité lorsque le remords ronge le personnage : la soprano émaille alors une ligne de chant particulièrement soignée de pianos et pianissimos de toute beauté, délivrant une scène de la mort vraiment émouvante.

Un thriller captivant pour les fêtes

Claudio Poloni - concertonet.com – 20 décembre 2024

source: https://www.concertonet.com/scripts/review.php?ID_review=16660

 

Pour les fêtes de fin d’année, le Grand Théâtre de Genève a eu l’heureuse idée de programmer la très rare Fedora d’Umberto Giordano, un compositeur que les mélomanes connaissent surtout pour Andrea Chenier. Le livret de l’opéra est fondé sur une pièce que Victorien Sardou avait écrite pour Sarah Bernhardt en 1882. L’intrigue se déroule à Saint‑Pétersbourg une année plus tôt : la princesse Fedora doit épouser le comte Vladimir Andrejevich, qui est mystérieusement assassiné la veille du mariage. Fedora jure de venger son fiancé. Tous les soupçons se dirigent sur l’anarchiste Loris Ipanoff. Fedora le suit à Paris et déploie des trésors de séduction pour lui faire avouer son crime. Loris passe finalement aux aveux et Fedora le dénonce aux autorités, qui arrêtent immédiatement son frère, Valeriano, soupçonné de complicité de meurtre. Un peu plus tard, Loris explique qu’il a tué le comte parce qu’il l’avait surpris avec sa propre épouse, Wanda. Fedora, qui entretemps est tombée éperdument amoureuse de Loris, est bouleversée. Les deux amants quittent Paris pour se réfugier en Suisse, où ils apprennent le décès de Valeriano, en prison, puis celui de la mère de Loris, folle de chagrin. Fedora est prise de remords et avoue être la dénonciatrice. Loris la maudit ; Fedora avale du poison et meurt dans les bras de son amant. Umberto Giordano a composé son opéra pour la soprano et actrice Gemma Bellincioni (1864‑1950), égérie du vérisme, qui a créé le rôle‑titre à Milan en 1898, aux côtés d’un jeune ténor, Enrico Caruso, dans le rôle de Loris. La première à Milan a connu un immense succès et l’ouvrage a ensuite été repris à Vienne sous la direction de Gustav Mahler, avant d’être présenté à New York en 1906. Le rôle de Fedora fascine les divas : dans les années 1950, il a attiré Maria Callas, Renata Tebaldi ou encore Magda Olivero, suivies plus récemment par Renata Scotto, Mirella Freni, Agnes Baltsa et Sonya Yoncheva, aux côtés notamment de Plácido Domingo, José Carreras et José Cura en Loris.

A Genève, le metteur en scène Arnaud Bernard a transposé l’action à notre époque, dans un univers de riches oligarques épiés par les services secrets russes. Le spectacle s’ouvre sur un écran géant affichant une recherche sur Internet, avec comme critères « Fedora Romazoff » et « kompromat » (moyen utilisé par les services secrets pour compromettre un ennemi politique). Le rideau se lève ensuite sur un assez long prologue (sans musique) pendant lequel on voit Vladimir, en train de s’amuser avec une jeune femme dans un lit, surpris par Loris, qui sort son arme pour lui tirer une balle. Toute la scène est scrupuleusement observée sur des écrans par des agents des renseignements. Le deuxième acte se situe dans le grand salon d’un riche appartement parisien ; au lever de rideau, le public applaudit spontanément la somptuosité du décor et les poses figées des interprètes. Le troisième acte se déroule au Palace de Gstaad, avec, parmi les figurants, des mécènes du Grand Théâtre ayant une résidence dans la célèbre station suisse. On les voit s’adonner avec délectation au « small talk » mondain, un art qui n’a aucun secret pour eux ! La soirée se termine avec l’écran du début, sur lequel s’affiche un texte relatant le décès de Fedora, comme s’il s’agissait d’un simple fait divers. Le spectacle est conçu comme un thriller haletant, et effectivement on ne s’ennuie pas une seule seconde.

A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, Antonino Fogliani obtient des musiciens des trésors de douceur, de délicatesse et de sensualité mettant parfaitement en valeur tout le raffinement et le lyrisme de la partition de Giordano. La distribution vocale est emmenée par la splendide Fedora d’Aleksandra Kurzak, princesse noble et altière, qui émeut aussi par sa fragilité lorsqu’elle est prise de remords, avec son timbre chaud et corsé, sa voix parfaitement homogène sur toute la tessiture, ses pianissimi ensorcelants et ses aigus habilement négociés, sans parler de sa présence scénique incandescente. Malgré quelques soucis d’intonation dans les aigus et des notes parfois un peu rêches, Roberto Alagna affiche une belle forme vocale et incarne un Loris ardent et rayonnant, au chant puissant. Les voix des deux interprètes se marient idéalement pour offrir des duos bouleversants. Parmi les nombreux rôles secondaires, on retient la pétulante comtesse de Yuliia Zasimova et le Siriex au chant racé de Simone Del Savio. On notera aussi l’apparition, au deuxième acte, du pianiste David Greilsammer, grimé en faux Chopin. Un très beau spectacle de fêtes !

Bons baisers d’Eltsine

Florent Coudeyrat – Altamusica – 20 décembre 2024

source: http://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=7431…

 

Absente de la principale scène lyrique genevoise depuis 1903, Fedora d’Umberto Giordano fait toujours figure d'éternelle redécouverte, du fait d'un livret alambiqué : son retour dans une transposition contemporaine d’Arnaud Bernard nous plonge dans les méandres d'un amour impossible, sur fond de manipulations de l'espionnage russe post-chute du communisme.

Après avoir connu ce qui restera le plus beau succès de sa carrière, avec le drame historique Andrea Chénier (1896), Umberto Giordano tourne son inspiration vers une trame policière matinée d'espionnage, adaptée d'une pièce de Victorien Sardou, l'auteur de Tosca. Le livret déçoit rapidement par son incapacité à faire vivre la multiplicité des personnages d'une existence propre, au point qu'on en vient plusieurs fois à se demander qui est qui, face à cet imbroglio narratif.

Le metteur en scène strasbourgeois Arnaud Bernard choisit de transposer l'action dans la Russie des années 1990, suite à l'effondrement de l'URSS, en montrant les manipulations de l'espionnage, à l'instar du meurtre initial du promis de Fedora : c'est là une entrée en matière bienvenue pour aider à comprendre le principal ressort de l'intrigue.

On aurait toutefois aimé que cette idée soit développée plus avant, afin d'enrichir le récit et donner davantage de crédibilité aux revirements émotionnels du rôle-titre, aussi contradictoires que soudains. Un rien trop sage, le mélodrame évolue dans les décors splendides de Johannes Leiacker, qui évoquent une élite bling-bling davantage occupée à ses plaisirs immédiats, sous les ombres mordorées de ses terrains de jeu, entre palais et palaces.

Si le premier acte déçoit par son statisme et sa matière musicale assez pauvre, les deux suivants montrent davantage d'inspiration, entre rythmes colorés et dansants (II) et influences populaires montagnardes (II), l'action se déroulant à Gstaad. On aime ainsi l'intervention aussi impromptue que délicate du pianiste David Greilsammer, accompagné par la fosse.

À la tête de l'excellent Orchestre de la Suisse Romande, Antonino Fogliani allège les textures et soigne l'expression des couleurs, en une mise en valeur analytique des détails de l'orchestration. En cherchant à donner ses lettres de noblesse au vérisme, cette lecture toujours probe minore toutefois par trop les contrastes, que ce soit dans l'exacerbation de la rythmique ou des traits folkloriques.

On peut malheureusement faire le même reproche à Aleksandra Kurzak, qui peine à embrasser toute la palette d'émotion requise pour le rôle de Fedora, du fait d'un jeu théâtral trop linéaire et peu crédible sur la durée. La soprano polonaise convainc davantage grâce à sa technique vocale toujours aussi admirable d'articulation et d'homogénéité sur toute la tessiture, surtout au niveau de la subtilité des piani.

Roberto Alagna compose quant à lui un Loris autrement sonore et sanguin, faisant valoir ses habituelles qualités de diction et d'investissement dramatique. Le timbre n'a certes plus les qualités de séduction de naguère, mais reste décisif dans ce rôle finalement peu exposé au niveau des virtuosités. En dehors de ces deux personnages omniprésents, les seconds rôles emportent l'adhésion par leur distribution luxueuse, dominée par une Yuliia Zasimova (Olga) délicieuse d’agilité et d'aisance.

Ginevra, Grand Théâtre – FEDORA

Federico Capoani – Connessi all’opera – 16 dicembre 2024

source: https://www.connessiallopera.it/recensioni/2024/ginevra-grand-theatre-fedora/

 

Il Grand Thêatre de Genève sceglie Fedora di Umberto Giordano, complice il primo atto ambientato pochi giorni dopo Natale, come produzione di fine anno, per un titolo che mancava da cent’anni sulle rive del Lemano (nonostante la città svizzera sia citata nel libretto!), puntando in particolar modo sul cast in cui spicca la coppia formata da Roberto Alagna e Aleksandra Kurzak nei due ruoli principali.

La regia è affidata a Arnaud Bernard, e del suo spettacolo si apprezzano anzitutto le scene dettagliate ed eleganti (a cura di Johannes Leiacker), i toni caldi delle luci firmate Fabrice Kebour, e in generale la gestione dei movimenti dei protagonisti e delle masse. Una prospettiva cinematografica, più che teatrale, in cui è evidente la cura per la fotografia, per l’immagine della scena nella visuale proposta al pubblico. La messinscena gioca a formare tableaux vivants per i quali usare tutto lo spazio del palcoscenico; le scene sono spesso popolate da figuranti impegnati in controscene in modo da non concentrare quasi mai l’azione semplicemente su chi è impegnato a cantare. Il taglio “da film”, inoltre, fa sì che la musica di Giordano, e in particolare le parentesi sinfoniche che inframezzano le linee di canto, siano usate come una colonna sonora, con i movimenti scenici che vi si sincronizzano rispondendo a una sorta di commento musicale.

La vicenda viene traslata dal regista dal tardo Ottocento degli attentati nichilisti alla contemporaneità, con i temibili nichilisti trasformati in oppositori di un regime russo, per quanto non si avverta nell’ambientazione una gran diversità nel milieu dei ricchi oligarchi spostando la vicenda di un secolo. Allora, il conte Vladimir Jariskin avrà, per servitori, degli sgherri punk che sembrano usciti da Limonov di Carrère (ma Gretch è un ispettore di polizia vecchio stampo, con cappotto e cappellone); il secondo atto, più convenzionale, si svolge nel foyer dell’Opéra-Garnier mentre il locus amoenus dell’Oberland bernese del terzo atto non è che la hall di un lussuoso albergo di Gstaad tra concierge in livrea e un’aria da Grand Budapest Hotel. L’aggiunta originale, nel concetto della messinscena, è l’invenzione che tutta la vicenda, dall’assassinio di Vladimiro all’individuazione di Ipanoff come colpevole, sia un complotto ordito dai servizi segreti per ottenere dossier compromettenti su personaggi del regime. Il problema è che, malgrado per tutta la durata dell’opera uomini dalle grigie uniformi osservino telecamere sul lato della scena (con gli apparecchi d’ascolto evidentemente riciclati dall’Inquisizione-STASI del Don Carlos di un anno fa) non si capisce veramente contro chi il complotto sia stato ordito, né quale sia l’implicazione di Olga e De Siriex nella vicenda.

Per mostrare tutto ciò, lo spettacolo indugia forse troppo a lungo in un prologo recitato, in cui, prima dell’inizio dell’opera, vediamo in un video aprirsi una pagina di ricerca sul web in cui si ritrovano informazioni su Fedora Romazoff e Loris Ipanoff, finché l’utente clicca su un immagine che, ingrandendosi, rivela la scena in cui possiamo assistere all’omicidio di Vladimir, il cui incontro con Wanda è in realtà parte di un disegno volto a incastrare il conte in atteggiamenti imbarazzanti. Un espediente da Tenente Colombo, certo, ma questa rappresentazione così didascalica di quanto avviene fuori scena toglie il gusto dell’inizio in medias res dell’opera e del disvelamento della verità da parte di Loris nel corso del secondo atto. Per il resto, la vicenda segue quasi perfettamente il libretto (ma scopriremo che Vladimir è stato solo ferito da Ipanoff: sarà il dottore, evidentemente implicato nel complotto, a causarne la dipartita) e ne mantiene le tinte forti e i caratteri da thriller. Ci si potrà lamentare della mancanza di una riflessione più profonda, della ricerca di un significato e di una lettura critica del libretto: ma è questo che serve per Fedora? L’idea di Bernard, e condivisa, come vedremo, dalla componente musicale dello spettacolo è quella che, tutto sommato, Fedora può convincere il pubblico nella forma non disonorevole di polpettone d’appendice. La sorpresa è che funziona.

Ma veniamo al versante musicale: nel ruolo del titolo, Aleksandra Kurzak convince soprattutto nel registro grave, in cui risiede principalmente la tessitura di Fedora, con suoni sicuri e ben proiettati (e mai intubati). Se gli acuti risentono invece di una minore ampiezza, il soprano polacco è abile a sfruttare la dinamica per caratterizzarli in maniera più delicata, con i piani che sono sempre ben riusciti. Ma soprattutto, Kurzak interpreta fedelmente e credibilmente gli estremi drammatici di un personaggio capace di passare in pochi istanti dall’odio all’amore, dalla gioia alla disperazione. Negli squarci più lirici, invece, laddove la partitura di Giordano si apre verso qualcosa che assomiglia a un’aria, le linee restano sempre quelle del canto di conversazione, e si sente la mancanza di un respiro, un’intenzione che vada al di là del singolo verso, per esempio, in «O grandi occhi».

A due anni di distanza dal Loris della Scala, Roberto Alagna conserva gli stessi pregi e gli stessi difetti. C’è, ovviamente, il suo canto aperto, solare, generoso; l’impeto e lo slancio di Ipanoff evidenziati da un fraseggio spontaneo. Gli acuti nella (difficile) sortita di «Amor ti vieta» risultano assai ruvidi e non sempre intonati. Va molto meglio nei passaggi più dialogici, dove il tenore sa far tesoro dei suoi gravi pieni e molto più precisi, o nei colori di «Mia madre, la mia vecchia madre»; ma quando i toni del dramma si alzano resta ancora forte la tendenza a sovrastare l’orchestra forzando: è il Verismo, certo, ma che va spesso a scapito di un belcanto a cui Alagna, si capisce, vorrebbe tendere, ma che lo strumento non gli permette di raggiungere.

Simone Del Savio è un De Siriex dalle tinte scure, di cui si apprezzano più i passaggi delicati e i piani nel terzo atto (anche se si avverte qualche difficoltà in acuto, come all’inizio de «Il vecchio tigre») che in un «La donna russa» non troppo coinvolgente. Accanto a lui, Yuliia Zasimova è un’Olga agile e brillante che riluce nell’aria «Il parigino è come il vino» ma non sembra troppo andare oltre un ruolo comico, quasi da operetta, e risulta più in ombra nelle brevi frasi all’inizio del secondo atto. Nel terzo atto il suo ruolo viene invece ridotto ai minimi termini con l’usuale omisione di «Se amor ti allena» e del dialogo appena precedente. Tra la folta schiera di comprimari, si distinguono Mark Kurmanbayev, le cui sonorità profonde disegnano un temibile poliziotto e Vladimir Kazakov, Cirillo dalla voce ben squillante.

La direzione di Antonino Fogliani, alla testa della sempre impeccabile Orchestre de la Suisse Romande dal suono avvolgente, più che focalizzarsi su una ricerca analitica di dettagli strumentali prova a dare un respiro globale alle pagine di Giordano, aderendo ai toni da feuilleton dell’opera e intensificandone l’azione drammatica spingendo ora sui forti (talvolta mettendo alla prova i cantanti), ora sui piani, rispettando i concitati nelle scene da thriller, il lirismo di quelle amorose, o ancora interpretando il valzer del secondo atto come fosse musica di scena della festa. Si tratta insomma della risposta musicale alla visione cinematografica del regista: un approccio appunto da colonna sonora, con l’orchestra che fornisce lungo tutto lo spettacolo, prima che l’accompagnamento alle linee canore, il commento strumentale alla vicenda.

In questo si misura, in fondo, la coerenza tra la parte visiva e quella musicale dell’opera: e malgrado la costruzione di un complotto e di una spy-story un po’ inutili sopra la trama originale, lo spettacolo mostra di credere nel libretto di Colautti. Si rinnova così quel miracolo per cui un testo (e secondo alcuni, anche una musica) piuttosto kitsch trovano invece il loro senso quando eseguiti sul palco di fronte al pubblico: a patto che il regista, l’orchestra e i cantanti aderiscano pienamente alla vicenda, alle sue emozioni, e anche alle sue assurdità. «Potenza della lirica / dove ogni dramma è un falso» (Caruso, d’altronde, fu il primo Loris Ipanoff): ce l’hanno ricordato, ancora una volta, Kurzak, Alagna, Fogliani e Bernard, per uno spettacolo che, con i suoi limiti, non sarà la Fedora di riferimento, ma che ha saputo in ogni caso rendere onore a questo titolo. Il pubblico ginevrino, alla prima, ne è stato assai entusiasta.

FEDORA en Ginebra

Jaume Estapà i Argemí - proopera.org – 20 décembre 2024

source: https://proopera.org.mx/contenido/criticas/fedora-en-ginebra/

 

La ópera Fedora (1898) de Umberto Giordano, título salido del nombre de pila de su protagonista —la Princesa Fedora Romazov—, fue una adaptación de la pieza de teatro homónima que Victorien Sardou había presentado en París en 1882, un año después del asesinato del zar Alejandro II en Moscú.

La relación entre el magnicidio ruso y la obra de Sardou es evidente. De aquella Rusia zarista que generó movimientos políticos violentos y anarquistas adversos al régimen, Arnaud Bernard, director de escena de la ópera presentada hoy, nos trasladó al Imperio Soviético en el momento anterior a la glasnost y a su posterior desintegración. El patético KGB imponía todavía sus métodos brutales por todos los medios disponibles, desde la electrónica más sofisticada a las escort-girls más llamativas. Para que no quedaran dudas sobre sus intenciones, el director añadió a los tres actos canónicos un prólogo en el que de manera muy explícita ilustró y quiso enseñarnos, diccionario en mano, la palabra rusa “kompromat”, que designa una maniobra malintencionada con el fin de comprometer a una persona —en general será un político o un hombre de poder— para hacerle desaparecer físicamente de la cancha de juego: política, económica, financiera…

En estas condiciones, Bernard hizo frente con pericia a la decena de personajes que poblaban el escenario durante el primer acto de la obra. Los incesantes ires y venires de tantos cantantes, algo menguó la brillantez de la música y, por desgracia, la de la bella aria de Fedora (‘Su questa Santa Croce’) que pasó casi desapercibida. El público saludó con un aplauso espontáneo nutrido y bien merecido el cuadro presentado a la subida del segundo telón, modelo de elegancia y equilibrio pictórico, logrado por el elegante decorado y el lujoso vestuario en negro firmados por Johannes Leiacker.

También en este segundo acto, el director de escena, secundado por Yamal Das Irmisch, se las vio y se las deseó para regir el coro (muy bien preparado por Mark Biggins) además de los múltiples solistas. El resultado fue sorprendente porque mantuvo la atención del público sobre los solistas principales mandando parar a todos los demás durante los momentos de mayor transcendencia dramática. Al tiempo, dejó a los dos protagonistas la responsabilidad de caracterizar dramáticamente sus personajes. Ellos lo hicieron con gran éxito acompañando con el gesto sus decires con la naturalidad exagerada que pedían las situaciones del drama.

Roberto Alagna hizo un majestuoso regalo profesional a su esposa Aleksandra Kurzak sumándose él al reparto de Fedora, una obra explícitamente dedicada a la soprano. Ella se lo agradeció con creces dando a la protagonista voz y alma. Si bien, como viene dicho, por exigencia del libreto y un pequeño descuido del director de escena, no brilló lo que debía en su primera aria, dio con ciencia y arte las réplicas a su amado en el segundo —en el que por otra parte le permitió triunfar vocalmente— y, por encima de todo, mostró al final del tercero el arrepentimiento de su relación con lirismo y elegancia, con el sentimiento de un dolor infinito que trascendió a la sala.

Aleksandra Kurzak (como Fedora Romazov) creó entonces un momento de gran lirismo porque su arrepentimiento pareció verdadero. Roberto Alagna (como el Conde Loris Ipanoff), valiente y osado, como es su costumbre en el escenario, sacó fuerzas de flaqueza por momentos para salvar situaciones vocales comprometidas. Fue siempre vencedor: vehemente en la página de ‘Amor ti vieta’, o divino pensando en su madre ‘Mia Madre’, alcanzó el diálogo final con las mejores condiciones vocales para acompañar magistralmente a su amada en la obra y en la vida.

Salúdese a los comprimarios todos en el escenario. Por supuesto al barítono Simone Del Savio (un De Siriex brillante vocalmente sólido); Yuliia Zasimova (una condesa Olga Sukarev algo métome-en-todo), o también a Vladimir Kazakov (un Cirilo el cochero con su explícito relato de la enrevesada situación causa de todo el mal).

Dígase de Antonino Fogliani el máximo elogio que se puede decir de un director musical: solamente hizo sonar su orquesta —la maravillosa orquesta de la Suisse Romande esta vez— durante los espacios sinfónicos. Por lo demás, la orquesta, totalmente integrada a la acción y del todo respetuosa de los artistas en escena, no se oyó. Pocos directores, pocas veces, consiguen a este punto la simbiosis entre el escenario y el foso. Esta noche, gracias a Antonino Fogliani fue el caso. ¡Muchas gracias, Maestro!

FEDORA à Genève : qu'il est méchant ce Poutine…

Guy Cherqui — wanderersite.com - 17 décembre 2024

source: https://wanderersite.com/opera/fedora-a-geneve-quil-est-mechant-ce-poutine/

 

Qui pouvait deviner quand Aviel Cahn a pris la direction du Grand Théâtre de Genève qu’il programmerait Fedora de Umberto Giordano. L’œuvre ne fait pas partie des opéras qu’il a programmés ailleurs et le vérisme n’a jamais vraiment été sa tasse de thé.

Mais voilà, Genève n’est pas une place si facile et sa programmation a dû prendre une couleur plus conforme, un peu plus sage depuis quelques années. Alors, après Clemenza di Tito d’un Milo Rau déstabilisant, mais passionnant, après un Tristan und Isolde largement bromuré, voilà pour fêter Noël un double cadeau, Fedora d’abord qui n’a pas été représenté à Genève depuis la saison 1902–1903, soit plus d’un siècle, et le couple Roberto Alagna/Aleksandra Kurzak, pour une double prise de rôle. Pour les amoureux de l’opéra italien et de stars du chant, Aviel Cahn a vraiment revêtu les habits du petit papa Noël.

C’est donc une œuvre oubliée à Genève, largement inconnue en France, où l’Opéra de Paris dont le répertoire a longtemps négligé le vérisme, ne l’a jamais montée (Andrea Chénier, du même Giordano autrement plus connu, n’est entré au répertoire parisien qu’en 2009, à Genève en 2012). C’est une rareté ailleurs qu’en Italie, même si on l’a monté à Londres ou New York.

On peut en comprendre la raison : on la compare à Tosca, simplement parce qu’elle est aussi inspirée d’un drame de Victorien Sardou, et aussi créé par Sarah Bernhardt. Mais la musique de Tosca est autrement plus puissante, et l’histoire autrement plus urgente et ramassée. C’est de fait une œuvre difficile à la musique irrégulière avec un premier acte totalement sans intérêt : il faut donc des stars immenses pour pouvoir transcender cette musique et faire vibrer cette histoire. Et ce n’est pas une question de chant, mais de charisme, de présence scénique, de magnétisme. Fedora est donc un défi. Le Grand Théâtre l’a‑t-il relevé ?

La trame : Un mélo sur fond de terrorisme

La trame de Fedora s’étend sur trois lieux en trois actes, Saint Petersbourg, Paris, et l’Oberland bernois, et trois moments, l’assassinat de Vladimir Andrejevich la veille de son mariage avec la princesse Fedora Romazoff (Saint Petersbourg), la rencontre avec le comte Loris Ipanoff, accusé de ce meurtre comme anarchiste, à Paris où il vit en exil, et le dénouement tragique dans les Alpes suisses.

La pièce de Victorien Sardou qui inspire le livret est de 1882, directement puisée dans l’histoire agitée d’une Russie qui vient de perdre en 1881 son tsar « libéral » Alexandre II, assassiné par un anarchiste le jour où il allait donner une constitution au pays… Nous sommes donc à Saint Petersbourg, dans ce contexte d’affaiblissement du régime, de tensions politiques et de terrorisme.

 

Acte I : Saint Petersbourg

La princesse Fedora Romazoff doit épouser le comte Vladimir Andrejevich, mais celui-ci est ramené chez grièvement blessé, un crime dont on accuse le comte Loris Ipanoff, connu pour être un sympathisant anarchiste. Vladimir meurt.

La princesse jure de se venger sur sa croix byzantine qui ne la quitte jamais.

Acte II : Paris

Ipanoff vit en exil à Paris et Fedora désireuse de se venger l’a suivi. Au cours d’une fête, il lui avoue à la fois son amour et avoir assassiné Vladimir. Immédiatement celle-ci écrit une lettre de dénonciation au chef de la Police, tandis qu’elle arrange un guet-apens pour qu’il soit arrêté au sortir de chez elle.

Ipanoff revient et lui confie la vérité sur le meurtre de Vladimir : Vladimir avait une liaison avec son épouse, et il les a surpris au lit, il a tiré, l’autre est mort. Crime d’honneur.

Fedora apprend donc coup sur coup que l’assassinat de Vladimir par Loris n’avait rien de politique, mais surtout, que son Vladimir bien aimé la trompait la veille même de ses noces. Et Loris en apporte une preuve irréfutable. Fedora sauve alors Ipanoff du guet-apens préparé et s’aperçoit en même temps qu’en le poursuivant, elle est elle aussi tombée amoureuse de lui.

Acte III : la Suisse

Le couple vit des jours heureux dans un chalet de l’Oberland bernois, mais Fedora apprend d’un ami, le diplomate De Siriex que le frère de Loris, Valerian, a été arrêté, jeté en prison au bord de la Neva, et qu’il est mort noyé lors d’une crue du fleuve. Et leur vieille mère succombe en apprenant cette mort. Fedora comprend que sa dénonciation écrite a provoqué deux morts et lacéré la vie de son bien aimé…

Coup sur coup, Loris apprend qu’il est gracié et peut rentrer en Russie retrouver sa famille, mais il apprend d’un ami que son frère et sa mère sont morts suite à la dénonciation d’une femme qui vit à Paris.

Fedora essaie d’atténuer sa douleur et aussi d’excuser cette femme inconnue en cherchant des raisons à son geste, mais Loris déduit vite que la femme en question c’est elle, il la rejette et la maudit, alors, elle prend le poison qu’elle gardait dans sa croix byzantine au cas où.

Loris désespéré revient vers elle, essaie d’appeler à l’aide, mais trop tard, elle meurt dans ses bras.

 

La production

Voilà un mélodrame pur sucre que la mise en scène a un peu écrasé, un mélodrame qui ne méritait ni cet excès d’honneur, ni cette indignité. Était-il si nécessaire de transférer l’histoire dans une actualité proche, transformant le mélo en une histoire montée de toutes pièces par les services secrets russes poutiniens pour « coincer » Loris et l’accuser …

Tout commence par une scène muette, celle de l’assassinat où Vladimir en fait de belles au lit avec une jeune femme, l’irruption de Loris qui le blesse et s’enfuit, puis l’entrée des sbires poutiniens qui pour récompenser la jeune femme mise dans le lit de Vladimir, lui tirent dessus à bout portant.

L’opéra commence, la scène s’élargit alors à la fois à des policiers derrière des écrans qui observent tout ce qui se passe et à l’appartement de Vladimir que l’on attend, et qu’on amène, blessé grièvement, et qui meurt bientôt suscitant le désespoir de Fedora qui jure de se venger. Tout a été soigneusement monté par les services secrets pour créer l’engrenage : Loris accusé, Fedora manœuvrée qui jure de se venger, et Vladimir à la fois salaud (il va se marier et s’est payé du bon temps la veille des noces), et victime puisqu’il meurt. Visiblement, on veut mettre tout ce beau monde dans le même panier.

Au deuxième acte, on est à Paris, un Paris de fête (la première image est applaudie par le public comme dans les tableaux bien léchés) qui a l’air de ce Paris qui du Second Empire à la Belle Époque et visiblement au seuil du XXIe siècle est toujours le même, celui des fêtes et des mondanités, Paris sera toujours Paris… En marge, deux apparatchik(e)s (y‑a‑t-il un féminin au mot ?) en tailleur gris, genre contrôleuses du métro moscovite ou mieux gardiennes de musée soviétique, dont l’une coiffe l’autre d’une perruque blonde : elle sera la comtesse Olga Sukarev, amie de Fedora, les services serrent donc au plus près l’héroïne, et subtilement Arnaud Barnard va placer toujours en marge et bien à vue, l’apparatchik(e) n°1 assise dans un corridor observant tout le manège. Au premier acte on avait les écrans et les casques et les caméras, au deuxième les bonnes vieilles méthodes de surveillance du KGB. C’est caricatural et ridicule, c’est inutile, et cela alourdit une trame déjà assez lourde telle quelle.

Au troisième acte, l’Oberland bernois (la scène devrait se dérouler dans le chalet où le couple Loris/Fedora s’est réfugié pour vivre leur éternel amour) est devenu le fameux Gstaad Palace, c’est plus précis, plus parlant, et permet d’utiliser encore le grand décor mordoré de Johannes Leiacker, un des meilleurs scénographes allemands qui a conçu trois ambiances monumentales, le palais de Vladimir à Saint Petersbourg, lumières froides et sombres du jour hivernal, et couleurs ombrées (éclairages de Fabrice Kebour), les salons parisiens de l’hôtel particulier de Fedora, tout en ors et lumières, et le troisième acte propose un autre salon, monumental aussi, celui de l’hôtel susnommé où l’on s’apprête à fêter Noël avec un immense sapin et plein de cadeaux à ses pieds avec cette fois un éclairage mordoré, genre crépuscule de l’amour et de l’histoire.

Les personnages sont identifiés par les costumes, qui font plutôt de Loris un jeune homme (veste, tee shirt) tandis que la princesse Fedora est plus classique, robe sombre (aux couleurs qui vont avec le cadre) au premier acte, robe du soir en lamé au deuxième acte, et tailleur assez malvenu au troisième, peu élégant aux couleurs toujours adaptées au cadre, mais pas pour mourir empoisonnée dans les bras de l’aimé. J’imaginais d’ailleurs en la voyant dans mon rêve le plus fou Sarah Bernhardt mourir en tailleur après avoir avalé un poison dissimulé dans sa croix byzantine…

Du point de vue de la conduite d’acteurs, les mouvements collectifs sont bien réglés, notamment le chœur et les figurants aux deuxième et troisième actes, les mouvements individuels plus conformes, laissant notamment le couple vedette gérer lui-même ses scènes, sans trop intervenir.

Quant au final, l’apparatchik(e) en gris, se lève de sa chaise (on a vraiment l’impression d’une sorte de gardienne de musée) la comtesse ôtant sa perruque pour redevenir le double de la précédente, De Siriex le diplomate français lui-aussi visiblement agent double (diplomat-kompromat…) quittent la salle, laissant Loris désespéré et la morte en tailleur : ils ont fait le job, Poutine sera content…

 

Et tout ça pour ça ? Il en met des moyens ce Poutine, pour une histoire pareille… il en a des sous à dépenser pour coincer un Loris devenu aussi inoffensif qu’un agneau dans les bras de sa princesse (comme quoi la politique face à l’amour c’est comme Dracula face à une gousse d ‘ail)…

On comprend les intentions d’Arnaud Bernard : montrer dans cette histoire non pas la surface (l’aventure Fedora/Loris), mais l’arrière-fond politique, soulignant que la Russie sera toujours la Russie, avec ses attentats, ses services secrets et sa police politique, qu’elle soit tsariste, soviétique ou poutinienne, ce qui court dans toutes les analyses politiques et géopolitiques, mais au-delà, en faisant de toute l’histoire un coup monté, qu’y ajoute-t-il ?

En lisant Gogol, ou d’autres écrivains russes de la période, on en déduit tout autant que la Russie tsariste fut une administration lourde au service d’une machinerie politique d’oppression qui a perduré sous les régimes successifs. L’histoire de Fedora, laissée dans son ambiance d’origine (les années 1880), pouvait tout aussi bien le laisser deviner.

Mais est-ce là l’objet ?

En réalité, on s’en moque des Poutine et des espions, des coups montés et du kompromat. Ce n’est pas l’objet de l’œuvre. Plus intéressant est de s’intéresser à ce genre, le mélodrame, avec ses trucs, ses mécanismes, avec ces deux caractères que sont Fedora et Loris, excessifs, impulsifs, passionnés, et à ces situations qui nous semblent absurdes : Fedora perd son mari qu’elle aime, découvre son assassin et immédiatement le dénonce, pour découvrir ensuite que c’est le mari le salaud et l’assassin le héros… pour pasticher Georges Fourest dans La négresse blonde :

« Dieu ! » soupire à part soi la plaintive Chimène,

« qu’il est joli garçon l’assassin de Papa ! »

Qu’il est joli garçon l’assassin du mari…

Le deuxième acte frappe avec ses retournements psychologiques subits (en une soirée…) : Fedora qui répond immédiatement à l’amour de Loris, quelques minutes après avoir écrit pour le dénoncer, c’est un sacré coup de théâtre… Toute l’intrigue est construite sur ces réactions immédiates des personnages, Vladimir est mort, Loris est l’assassin, je veux me venger, Vladimir est un salaud, Loris le héros, je l’aime (mais j’oublie que je l’ai dénoncé), puis au troisième acte j’ai causé deux morts (de son frère et sa mère) par ma sotte initiative, il me maudit, je me tue. On n’est certes pas dans les longs monologues de réflexion à la Wagner ou même à la Verdi, on est dans une immédiateté des actes et des sentiments, dans une sorte de performatif permanent qui explique d’ailleurs l’absence de longs airs. Le plus célèbre est si bref (amor ti vieta) qu’il sert de bis aux ténors dans leurs récitals.

Ce n’est pas une œuvre de méditation ni d’intériorité, et les personnages réagissent toujours au quart de tour, cet aspect pouvait être intéressant à creuser. Mais visiblement, Arnaud Bernard ne s’y est pas intéressé, il préfère Poutine.

Car Fedora n’est ni un thriller, un roman noir ou un roman d’espionnage. Tout cela n’est que le contexte d’une histoire mélodramatique entre deux personnages, et c’est bien cela qui intéresse l’opéra, et la musique : c’est si vrai que le premier acte est d’une grande pauvreté musicale, d’un certain ennui, et constitue une simple mise en place dramaturgique. Tout commence au deuxième acte. Le véritable opéra ne dure que deux actes sur trois…

C’est pourquoi le comparer à Tosca, parce que procédant du même Victorien Sardou et incarné à l’origine par la même Sarah Bernhardt nous paraît hasardeux, parce que dans Tosca les trois actes ont une forte dramaturgie, puissante, vibrante et sont liés fortement les uns aux autres, comme les épisodes d’un feuilleton tragique. Ce n’est pas le cas ici.

La vérité c’est que Fedora est une œuvre plutôt mineure, musicalement irrégulière, qui nécessite de sacrés ingrédients pour la faire vivre. C’est authentiquement, un opéra de stars, qui doit à mon avis être traité comme tel, sans y toucher, dans son jus. Il y a des œuvres qui n’ont pas besoin d’une surinterprétation, d’une transposition, d’une patte lourde de metteur en scène (sauf si un génie de la mise en scène s’en emparait, mais au vu de la valeur dramaturgique de l’œuvre, c’est much ado about nothing.)

Dans son jus, avec ses trois ambiances, ses costumes d’époque, ses longues robes, ses bijoux, ses fracs ses uniformes etc… Il y a dans Fedora un parfum d’époque qui sert bien plus l’œuvre que n’importe quelle transposition et qui sert l’adhésion du spectateur à l’histoire. C’est tout aussi clair dans la mise en scène genevoise, à part les simagrées de perruques et d’espionnes russes en uniforme gris, c’est le deuxième acte qui fonctionne le mieux parce qu’Arnaud Bernard le traite comme une sorte de fête parisienne « éternelle » et sans âge, fracs, smokings et même (le Grand Théâtre met les petits plats dans les grands) un vrai créateur et un véritable artiste, dans le rôle du pianiste, David Greilshammer, ici grimé en succédané de Liszt, qui pouvait tout aussi bien prendre place dans un Paris XIXe…

C’est justement cet aspect intemporel de l’acte qui le fait fonctionner mieux, avec une musique, qui il faut le souligner, est nettement plus élaborée qu’au premier acte.

Le troisième acte avec son côté on prépare Noël dans le Palace, ses mouvements de figurants assez inutiles (du remplissage), n’est pas convaincant et contribue aussi à atténuer la puissance (mélo)dramatique des derniers moments, qui sont par leur côté extrême, des cris, des râles, des larmes, une sorte de concentré du genre à l’opéra et qui demandent une conduite scénique très serrée pour ne pas sombrer dans l’excès et donc le ridicule.

Donc, la mise en scène d’Arnaud Bernard ne sert pas cet opéra (pas si facile à servir il est vrai), elle la transforme et la décontextualise inutilement, elle en alourdit une trame déjà assez touffue… malgré des moments bien faits (le deuxième acte) parce que ce metteur en scène a de la technique. Elle n’a pas sorti à faire de Fedora un sujet à vision scénique… Il eût été plus simple de laisser l’œuvre dans son écrin un peu nostalgique et vaguement parfumé du parfum des choses passées…

 

Les aspects musicaux

Musicalement, c’est une œuvre irrégulière. Nous avons évoqué un premier acte d’une pauvreté marquée, à tous niveaux. Le deuxième acte au contraire est sans doute le plus riche musicalement : on y trouve une forte partie chorale, qui sert le côté spectaculaire, mais aussi des variations étonnantes de tissu sonore, notamment le jeu sur l’accompagnement au piano d’une partie des scènes, l’allègement de l’orchestre qui sont des moments singuliers d’invention mélodique inattendue. C’est aussi là qu’on entend des « airs » si rares, et notamment le fameux amor ti vieta qui va devenir l’hymne d’amour du couple qu’on réentend à la fin.

Giordano n’est pas un compositeur médiocre, mais il manque à cette musique une solution de continuité, une certaine épaisseur : il est difficile d’en mémoriser des moments, il est difficile de suivre une vraie ligne. Je parlais plus haut des personnages « performatifs » qui se définissent par des actes singuliers qui semblent non réfléchis, exclusivement dans l’immédiateté, et cette musique semble procéder de cette veine, suivant les aléas de la conversation, des moments, sans jamais s’enraciner, ne manquant pas de technique ni d’invention quelquefois, mais plutôt de profondeur. On est loin de Puccini, tellement attentif à l’époque, aux évolutions musicales, aux innovations : il suffit de se plonger dans La Fanciulla del West ou Turandot pour être fasciné par tiut ce que tente Puccini et ce qu’il fait entendre. Il y a encore quelques dizaines d’années, on assimilait communément Puccini au vérisme, ce n’est plus vrai aujourd’hui, même si les frontières du vérisme restent floues : un Zandonai n’est pas vériste (quelle écriture… quels reflets y compris debussystes) et pourtant on le qualifie quelquefois ainsi… Comme si en Italie, toute la musique de cette période était vériste (en dehors de Puccini pour la plupart des analystes).

Le programme de salle grâce à la réflexion d’Antonino Fogliani fait le point là-dessus et sur les compositeurs de l’époque, en l’étendant aussi à la délicate question du lien de certains (Mascagni notamment) avec le Fascisme. Pour ma part, même si le vérisme est un mouvement musical fort à l’opéra (Leoncavallo, Mascagni, Giordano…), peu d’œuvres aujourd’hui survivent dans les répertoires, sauf en Italie et encore. En revanche, c’est un authentique grand mouvement littéraire, qu’on peut comparer en France à un Emile Zola… Il faut lire par exemple Giovanni Verga.

En musique, c’est un mouvement où domine la performance du moment (qui peut-être d’un plaisir intense, qui peut procurer des émotions immenses, on pense à la Santuzza de Cavalleria Rusticana), qui laisse peu de traces « intellectuelles » ensuite comme peuvent en laisser des opéras de Verdi et de Puccini, mais qui est en même temps une authentique musique populaire, peut-être la plus populaire de l’opéra italien.

Antonino Fogliani s’en est emparé avec sa capacité coutumière à soutenir les chanteurs et le plateau, à rendre la partition claire, à en soigner la précision et les couleurs, à en respecter le rythme scénique : il ne fait pas de cette musique un diamant du répertoire, mais fait tenir l’ensemble avec sa compétence et sa solidité, à la tête d’un Orchestre de la Suisse Romande au rendez-vous de cette histoire. Fogliani fait partie de ces (rares) chefs qui sont des garanties d’une exécution propre, soignée, respectueuse, et qui sache mettre en valeur les partitions, dans les couleurs les plus variées du répertoire lyrique italien, sans jamais faillir, toujours au rendez-vous, avec solidité et ce qui ne gâte rien, toujours avec modestie

Le chœur du Grand Théâtre, comme toujours bien préparé par Mark Biggins, a une forte présence au deuxième acte où il remplit aussi la scène par de vifs mouvements bien réglés (C’est une des qualités d’Arnaud Bernard de bien faire mouvoir les masses) et il mérite le succès remporté.

Les voix

C’est une œuvre lourde à distribuer, avec de nombreux rôles de complément, et c’est une des forces du Grand Théâtre de Genève d’avoir une vraie capacité grâce au « jeune ensemble » mais pas seulement , de réunir toujours de solides rôles d’appui. Les « petits » rôles mal distribués font souvent tomber lourdement le niveau d’une production. Il en va des petits rôles à l’opéra comme les chaussures d’hommes : de belles chaussures font passer n’importe quel vêtement, des chaussures négligées tuent tout vêtement, même les plus griffés.

Et ainsi donc, à part l’excellent David Greilshammer dont nous avons signalé la composition (muette, mais tactile) en pianiste dégingandé à la Liszt, tous les chanteurs assurent avec solidité leur rôle, quand ce n’est pas avec émotion pour la voix d’enfant Laura Popa-Oprea, qui accompagne l’acte III (une belle idée de Giordano qui donne un contrepoint léger et poétique à une fin plutôt marquée par l’excès), signalons donc tous les participants, justes, à leur place, Céline Kot (Dimitri), David Webb (Désiré), Rodrigo Garcia (Nicola), Georgi Sredkov (Sergio), Igor Gnidil (Boroff), Louis Zaitoun (Baron Rouvel), Vladimir Kazakov (Cirillo), et Sebastià Peris (Loreck, le chirurgien).

C’est Yuliia Zasimova, membre du jeune ensemble, qui était la comtesse Sukarev, amie et espionne (dans cette mise en scène), qu’on avait déjà remarquée en Servilia dans La Clemenza di Tito. On y retrouve cette fraicheur vocale, et cette justesse, avec une vraie personnalité scénique.

Mark Kurmanbayev, autre membre du Jeune Ensemble, est Gretch, l’inspecteur de police inquiétant, fait sonner une voix de basse puissante, au timbre chaud et à la diction claire : une voix déjà bien affirmée à suivre.

En De Siriex, Simone Del Savio est particulièrement expressif, avec un phrasé impeccable et une vraie solidité. Le personnage qui se révèle être lui aussi un espion pouvait peut-être être encore plus duplice, mais l’ensemble est bien planté, la voix projetée sans scorie aucune et le chant très naturel.

Mais, nous l’avons déjà écrit, Fedora est un opéra de stars qui ne peut fonctionner dans les deux principaux rôles, qu’avec d’indiscutables têtes d’affiche.

Ce n’est pas tant par la difficulté du chant d’ailleurs parce que souvent, ces deux rôles sont abordés au crépuscule des carrières : c’est la ligne, le timbre, le style qui comptent, car le registre est plutôt central, ne sollicitant pas trop l’aigu notamment pour le ténor.

Pour le soprano, c’est la variété de couleur, la qualité de l’émission, le soin apporté aux mezzevoci et surtout l’expressivité qui sont au rendez-vous. Ce sont des rôles faits pour des artistes rompus au travail de l’expression, des sculpteurs plus que des alpinistes et qui n’ont pas à s’angoisser pour des sollicitations impossibles à l’aigu. Ainsi, aussi bien Placido Domingo que Mirella Freni n’ont abordé Loris et Fedora qu’en 1993.

Ce n’est pas une loi inscrite dans le marbre : puisque Enrico Caruso a commencé sa carrière en Loris, c’était d’ailleurs aussi pour le jeune ténor qu’il était une garantie de ne pas trop risquer …

Aussi l’enjeu, c’est l’expression, la couleur, la personnalité. Pour Fedora, la nécessité est double, brûler les planches d’un côté, avoir dans la voix une couleur peut-être un peu sombre ou porter le drame aux lèvres en quelque sorte et être rompu au style vériste comme une Magda Olivero, Adriana Lecouvreur pour l’éternité et Fedora immortelle.

Roberto Alagna et Aleksandra Kurzac étaient donc un authentique cadeau pour Genève.

En écoutant Roberto Alagna, on reste toujours confondu de ces qualités étonnantes que sont sa prise directe sur le public, la sympathie immédiate que sa générosité scénique et musicale diffusent : l’homme se donne tout entier et c’est très roboratif de l’entendre car il met vraiment du baume au cœur. Le chanteur garde ce timbre suave, cette couleur solaire qui le rendent si singulier dans le panorama des ténors d’aujourd’hui et surtout, qu’il chante en français ou comme ici en italien, il fait entendre chaque mot, chaque syllabe, avec une clarté incroyable : émission soignée, souci de clarté, diction impeccable, ciselée, lumineuse. C’est Alagna et c’est pourquoi on l’aime. Qu’on me permette un grand souvenir, Roberto Alagna sera toujours pour moi ce jeune Gabriele Adorno dans Simon Boccanegra à Salzbourg avec Abbado en fosse qui dans la mise en scène de Peter Stein entrait en scène en courant faisant le tour de l’immense plateau : quel allant, quelle jeunesse presque éternelle ! Cette image de lui ne m’a jamais quitté… et j’y pense chaque fois que je le vois en scène…

Toutefois, et il n’y peut rien, je ne suis pas sûr que le rôle de Loris lui convienne, ou convienne à ce caractère si généreux et si « offert ». Loris est un personnage peut-être plus rongé : un aristocrate certes, mais caressé par les idées anarchistes, en exil, séparé de sa famille, et trahi par sa femme, cela compose un personnage loin d’être solaire. Ce côté ombrageux va néanmoins trouver en Fedora sa lumière. Ce côté rongé, qui fait partie du personnage de Loris, on ne le retrouve pas ici, parce qu’Alagna est justement trop lumineux de timbre et de couleur. C’est évidemment une question de lecture « psychologique » plus que de pure « critique », mais il y a une sorte de décalage entre le Loris de l’histoire avec la charge psychologique qu’il peut porter, et ce Loris, où le choix de mise en scène d’un Loris plutôt juvénile n’arrange pas vraiment les choses. Or Loris n’est pas un jeune homme, mais un homme jeune qui a déjà une histoire, il a une maturité qui ne transpire pas vraiment ici.

Aleksandra Kurzak forme avec Alagna sur scène un vrai couple, dont on voit la complicité, deux êtres qui s’offrent mutuellement. Cela se sent, et c’est assez émouvant. C’est pour elle une prise de rôle qu’elle assume, avec un grand soin à tous niveaux, soin pour colorer, soin pour travailler le contrôle vocal, avec des aigus triomphants, mais aussi des mezzevoci, de vraies nuances qui montrent à la fois une technique très solide et une volonté de dessiner un personnage, de le profiler vocalement dans un rôle qui est particulièrement difficile pour les raisons développées plus haut. Comme je l’ai écrit ce n’est pas un rôle où les difficultés vocales à affronter soient insurmontables, c’est un rôle qu’on peut aborder en fin de carrière mais c’est un rôle qui, en ce qui concerne l’interprétation, est toujours sur le fil du rasoir et peut tomber dans le mélo le plus caricatural (Licia Albanese…), et donc qui doit jouer entre une certaine retenue et une certaine passion. Fedora est une impulsive : passant de la haine et la vengeance à l’amour en quelques secondes (acte II), qui allait épouser un salaud (Vladimir) aveuglée par la passion et donc ne sachant pas lire dans les âmes, et elle écrit sa lettre de dénonciation sous l’empire de ses impulsions, sans du tout en mesurer les conséquences. Elle se jette ensuite dans les bras de Loris en oubliant ce qu’elle vient de faire quelques minutes avant. Et tout le troisième acte se joue sur ses variations passionnelles, d’abord éperdument amoureuse, puis éperdument désespérée quand elle apprend les conséquences de sa lettre et qu’elle voit Loris tout aussi éperdu de douleur et de soif de vengeance, c’est la danse mélodramatique des éperdus. Avec le même caractère impulsif, tout de passion, elle avale le poison pour en finir… Tout cela est évidemment théâtral au sens péjoratif du terme, excessif, mais doit en même temps se garder d’un certain ridicule dans lequel, par l’excès même de la situation, on peut tomber. Et dans cette complexité interprétative, Alexandra Kurzak offre de réelles qualités vocales, un chant vraiment assuré et techniquement dominé, mais ne réussit pas, au moins pour l’instant, à imposer un personnage. On reste en-deçà. Le chant, aussi dominé soit-il ne fait pas entendre le drame ou du moins ne le fait pas vivre. Elle chante (très bien) Fedora, mais elle n’est pas Fedora, elle ne la fait pas apparaître une force intérieure impérieuse et on n’y croit pas vraiment. Là encore, la mise en scène et les costumes (le tailleur ridicule du troisième acte) n’aident pas. mais aussi gageons que c’est une prise de rôle qu’elle a le temps de peaufiner.

En conclusion, il en va de cette Fedora de fêtes comme les sapins et les guirlandes de Noël, du clinquant, du brillant, avec un magnifique double cadeau du père Noël qu’est le couple Alagna-Kurzac. Mais les fêtes passées, on aura vécu un joli moment, mais il ne restera pas grand-chose d’une œuvre secondaire, pas bien passionnante, qui l’espace d’un Noël aura mis des étoiles dans les yeux ; mais bien vite les étoiles s'éloigneront et s’éteindront, pour un autre siècle peut-être ?

 
 

 

 

FEDORA : Un drame passionnel sur fond d’espionnage russe

Julian Sykes – Le Temps – 15 décembre 2024

source: https://www.letemps.ch/culture/musiques/fedora-un-drame-passionnel-sur-fond-d-e…

 

Le metteur en scène Arnaud Bernard transpose l’action de l’opéra d’Umberto Giordano dans un univers de nouveaux riches épiés par les services secrets russes. Aleksandra Kurzak chante très bien le rôle principal aux côtés de son mari Roberto Alagna

Avec une intrigue qui se déroule à Saint-Pétersbourg, à Paris et dans l’Oberland bernois, relevant à la fois du meurtre passionnel, de l’enquête policière et du mélodrame – le tout sur fond d’espionnage russe –, il y a de quoi monter un spectacle de fin d’année divertissant aux liens ténus avec la Suisse. C’est aussi l’occasion de mettre en valeur une rareté : l’opéra Fedora d’Umberto Giordano adapté d’une pièce de théâtre du Français Victorien Sardou, davantage connu pour son blockbuster Andrea Chénier chanté naguère par des grandes vedettes du chant italien.

Pour ce spectacle mis en scène par Arnaud Bernard, on tient la vedette Roberto Alagna dans le rôle de l’amant tout feu tout flamme et Aleksandra Kurzak – sa compagne à la ville – dans celui de la princesse Fedora Romazoff, une richissime veuve aux nerfs un peu à vif. Première constatation : Fedora ne relève pas de l’opéra vériste tel qu’on l’imagine. Ce n’est pas ce déferlement de pathos de A à Z, on ne pleure pas pendant trois heures – uniquement par intermittence. C’est même assez différent, et on pourra être un peu frustré de ne pas pouvoir se lover pendant de longues minutes dans des airs et duos nourris à l’adrénaline lyrique, où vous gloussez d’aise « tellement c’est beau ».

Fedora est donc une autre créature. Un mélodrame jalonné de nombreux dialogues musicaux (souvent à plusieurs personnages) et de rares airs qui nous font sortir du strict déroulé linéaire. Arnaud Bernard exploite le filon de l’espionnage dans le livret qu’il transpose à une ère post-glasnost. Il commence de manière très inattendue par deux séquences constituant un Prologue » avant même que la musique de l’opéra débute. On assiste à une requête par un internaute sur un moteur de recherche autour de la mystérieuse Fedora Romazoff retrouvée morte au Gstaad Palace. Une dépêche nous apprend que les « services russes sont impliqués ».

Kitsch helvétique

S’ensuit un flash-back purement théâtral – sur un Nocturne de Chopin en musique de fond – où l’on voit un homme dévêtu (Vladimir) s’amuser avec une call-girl dans une chambre à coucher, tandis qu’ils sont filmés par les services secrets. Un homme entre (Loris) ; bref échange de coups de feu, et Loris subtilise l’enregistrement. Puis le grand rideau du théâtre s’ouvre (enfin !) sur un décor aux hautes parois dorées et un salon de nouveaux riches, d’abord chez Vladimir à Saint-Pétersbourg, ensuite chez Fedora à Paris, puis dans le hall de l’hôtel au Gstaad Palace au dernier acte.

Commence l’histoire proprement dite après ce « Prologue » certes intriguant, mais un peu long. Avec ses scènes de foule bien agencées et ses vastes décors agréables à l’œil, la mise en scène fonctionne. Arnaud Bernard sait bien diriger ses acteurs, notamment lors du bal masqué au deuxième acte, avec des procédés empruntés au cinéma quand la foule se fige sur place. Au-delà de certains écarts avec le livret – parfois incongrus -, c’est un spectacle classique et efficace qui se termine avec un soupçon de kitsch helvétique dans l’Oberland bernois.

L’opéra entier repose sur la prestation d’Aleksandra Kurzak, très impliquée scéniquement. Sa voix chaude et capiteuse, avec des passages à mi-voix (mezza voce) très bien négociés, confère une riche gamme d’expressivité à la partition. Certes, elle surjoue un peu les graves en voix de poitrine ; mais ses courts airs qui jalonnent l’opéra – très beaux – nous préparent pour la séquence finale où elle livre le meilleur d’elle-même, capable de placer un aigu admirable d’où s’ensuit la courbe vocale.

Flamme perpétuelle

Face à elle, Roberto Alagna (Loris Ipanoff) compose un amant tout d’un bloc, au chant systématiquement vaillant, voire en force, capable d’exulter comme de fondre en larmes sans véritable nuancier entre deux. De toute évidence, le ténor latinisant cherche à assurer sa partie ; il attaque les phrases vocales souvent par en dessous, affichant un vibrato assez prégnant, avec cette flamme perpétuelle qu’on aimerait plus subtile. Ses sanglots nous émeuvent seulement quand Loris évoque sa mère perdue ou quand celui-ci se retrouve impuissant aux côtés de Fedora mourante.

Des airs de « faux Chopin »

La plupart des seconds rôles sont bien servis, notamment le soprano léger pétulant de Yuliia Zasimova en Olga (une espionne) et David Greilsammer dans le rôle du pianiste Lazinski avec ses airs de « faux Chopin ». Gageons que Simone Del Savio, en diplomate français De Siriex, trouvera ses marques au fil des représentations. Ce qu’il faut souligner encore, c’est la direction très soignée d’Antonino Fogliani qui met en valeur l’instrumentation raffinée et colorée d’Umberto Giordano, notamment dans l’atmosphérique Intermezzo de l’acte II. Un spectacle à voir, avec ses décors plaisants à l’œil, et son intrigue joliment tarabiscotée.

 
 

 

 

La générosité d’Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna dans FEDORA

Jacques Schmitt – ResMusica.com – 15 décembre 2024

source: https://www.resmusica.com/2024/12/15/a-geneve-la-generosite-daleksandra-kurzak-…

 

Spectacle jubilatoire au Grand Théâtre de Genève avec l'opéra d'Umberto Giordano Fedora porté par un Roberto Alagna en excellente forme et la prise de rôle d'une Aleksandra Kurzak divinement inspirée.

Quelques minutes à peine après le début de l'opéra, Aleksandra Kurzak (Princesse Fedora Romazov) est confrontée à son premier aria Ed ecco il suo ritratto. Quelle belle autorité vocale, quel aplomb ! On se régale au magnifique pianissimo de la fin de son aria, qu'elle envoie étendue sur le lit, la tête renversée en arrière. Le ton est donné. Le Grand Théâtre de Genève résonne de la voix d'une artiste comme cette institution n' en avait plus montré sur sa scène depuis de nombreuses années. Sans que jamais elle ne force sa voix, sans qu'elle ne soit dans la démonstration, Aleksandra Kurzak incarne le mot à travers un chant que la musique illumine. Plus rien n'existe autre que l'esprit insufflé dans cette voix, que l'implication entière de l'artiste dans son théâtre, dans son rôle. Un théâtre lyrique où, par la magie d'une présence vocale, costumes, décors et lumières disparaissent derrière le message inspiré de l'artiste. Irrésistiblement, on sent le besoin d'applaudir la beauté de l'interprétation, la justesse du ton, la qualité du timbre, la grandeur de la musique. Mais l'instant déjà passe, l'orchestre efface l'émotion du présent pour se projeter vers d'autres horizons musicaux.

Il fallait que cette voix résonne ainsi parce que sans elle, on peine à s'intéresser à la mise en scène d'Arnaud Bernard. A transposer cette intrigue se déroulant au temps des mouvements nihilistes russes du milieu du 19e siècle dans celui de la Russie de Staline, voire contemporain à celui de Poutine, n'apporte rien au drame inspiré de la pièce de Victorien Sardou. De fait, dans un prologue à l'Ouverture de l'opéra, le metteur en scène nous fait assister dans une série de scènes grand-guignolesques au meurtre du fiancé de Fedora en faisant graviter autour de cet assassinat une série de personnages assez mal définis qui, au lieu d'éclairer le spectateur, le plonge dans une certaine confusion. Umberto Giordano et son librettiste l'avaient bien compris en faisant débuter l'opéra avec la courte agonie et la mort de Vladimir, le fiancé de Fedora. On saura plus tard que l'assassin de Vladimir est le Comte Loris Ipanov, devenu l'amant éperdu de la Princesse Fedora. Elle apprendra trop tard le crime de son amant, trop tard pour arrêter le complot de vengeance qu'elle avait ourdi.

Même la présence continuelle de personnages espionnant le comportement des deux amants et de leur compagnie selon les méthodes du KGB, dont les actualités télévisées se sont largement fait écho, n'arrive pas à effacer le climat du 19ème siècle qui règne dans la musique et les mots de Fedora. La puissance de la musique d'Umberto Giordano alliée aux très beaux décors et costumes (Johannes Leiacker) dessinent, malgré cette transposition, le climat de cette époque et l'image qu'on se fait de cette diaspora russe s'épanchant avec insouciance dans les palaces et les résidences de l'Europe d'avant la défaite de Sedan et les deux Guerres mondiales. Notons d'autre part que dans sa direction d'acteurs, Arnaud Bernard ne convainc pas totalement dans la mesure où son spectacle privilégie le jeu des deux principaux protagonistes au détriment des autres rôles. Reste alors l'impression qu'on a affaire à deux mondes : il y a Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak d'une part et… les autres. Ainsi des personnages tels que la Comtesse Olga Sukarev ou le diplomate de Siriex mériteraient une meilleure attention scénique, pour une meilleure compréhension de l'intrigue.

Reste que le plaisir le plus tangible s'illustre dans la musique d'Umberto Giordano que la baguette du chef italien Antonino Fogliani exprime avec un lyrisme animé d'un grande profondeur devant un Orchestre de la Suisse Romande magnifique et en grande forme.

Sur le plateau, si la soprano Aleksandra Kurzak (Fedora) confirme tout au long de la soirée l'admirable impression laissée aux premiers accents de l'opéra, elle incarne une Princesse Fedora d'une belle et grande dignité. Devant les références discographiques du rôle, en particulier avec les documents inoubliables laissés par la soprano Magda Olivero, l'approche vocale d'Aleksandra Kurzak donne une impression sans doute moins vériste de ce personnage mais ô combien plus touchante par sa capacité à adoucir sa voix dans les moments d'extrême douleur que Fedora traverse sans que ces sentiments soient surjoués ou chantés dans l'excès. A ses côtés, Roberto Alagna (Comte Loris Ipanov) apparait en très grande forme. Dès ses premières notes, on entend l'évidence d'une voix au-dessus des autres. Là aussi, le rôle a ses références avec les Mario del Monaco, Giuseppe di Stefano, Giacomo Giacomini ou encore Placido Domingo du disque. On pouvait se demander si, en affrontant ce rôle écrasant, le ténor pourrait tenir la distance sans être obligé de hurler son désespoir comme le faisaient ses prédécesseurs. Quand bien même sa voix n'a plus le brillant de ses jeunes années, la prestation de Roberto Alagna est empreinte d'une grande intelligence vocale. Imprimant à son personnage une virilité mesurée, sans jamais se départir de sa puissance, il donne à  entendre un amoureux noble et tourmenté à la fois, en parfaite adéquation avec le Comte Loris Ipanov de l'intrigue. Certes chacun l'espérait dans la célèbre cantilène Amor ti vieta. Admirable tout au long de l'opéra, à notre goût, il ne fut cependant pas à son meilleur dans cet air qu'il chante sur un tempo très lent comme s'il devait démontrer au public que ses moyens vocaux n'avaient  rien perdu de leur superbe.

Quant aux autres rôles, comme nous le soulignions plus haut, le manque de soin apporté à leur présence sur scène, les fait presque disparaître aux yeux, et surtout aux oreilles, du spectateur. C'est le cas de la soprano ukrainienne Yullia Zasimova (Comtesse Olga Sukarev), pourtant dotée d'une très belle voix : l'amie quelque peu déjantée de la Princesse Fedora méritait d'être mieux mise en avant qu'avec cette ridicule perruque blonde dont on l'a coiffée, ainsi que du costume noir qui la rend indistincte des autres personnages de   moindre importance. Il en va de même pour le baryton italien Simone Del Savio (De Siriex, le diplomate) dont on aurait aimé que soit plus soignée sa «russitude», même si on l'attendait plus caricatural dans sa chanson La donna russe è femina due volte , laquelle manque sensiblement d'esprit slave ! Parmi les nombreux petits rôles se détache le baryton Vladimir Kazakov (Cirillo, cocher) dont le joli timbre ne manque pas de charme.

Lorsque le rideau tombe sur l'ultime scène de la mort de Fedora jouée dans une belle intimité par une Aleksandra Kurzak bouleversante et inspirée et un Roberto Alagna des plus sensibles, le public genevois réserve un triomphe à ces deux artistes dont la générosité vocale mérite tous les compliments. Devant un public sensiblement différent de celui qu'on a l'habitude de voir au Grand Théâtre de Genève, ils ont animé  une soirée d'opéra comme on aime les vivre. Avec du chant, des beaux décors, de très beaux éclairages (Fabrice Kebour), de la belle musique et du rêve même dans le drame !

Un thriller lyrique au cœur de l’hiver genevois

Aurélie Mazenq - premiereloge-opera.com - 15 décembre 2024

source: https://www.premiereloge-opera.com/article/compte-rendu/production/2024/12/15/g…

 

Le Grand Théâtre de Genève propose une nouvelle production de Fedora de Giordano. Rarement représenté, l’ouvrage mérite sans conteste d’être redécouvert. L’événement était d’autant plus attendu qu’il marquait les débuts sur la scène genevoise de Roberto Alagna et de son épouse, Alexandra Kurzak, dans une production lyrique.

Par une soirée de décembre empreinte de l’esprit des fêtes de Noël, le Grand Théâtre de Genève propose une nouvelle production de Fedora d’Umberto Giordano. Rarement représenté, cet ouvrage au lyrisme incandescent mérite sans conteste d’être redécouvert. Créé en 1898 et triomphant à ses débuts, Fedora a depuis sombré dans un relatif oubli, éclipsé par d’autres chefs-d’œuvre du vérisme italien. La dernière représentation de l’ouvrage dans ce théâtre remontait à la saison 1902-1903 ! Pourtant, l’œuvre fascine par son intrigue haletante, mêlant passions tragiques et pouvoir totalitaire, un véritable thriller opératique où drame et émotions s’entrelacent habilement. L’événement était d’autant plus attendu qu’il marquait les débuts sur la scène genevoise de Roberto Alagna et de son épouse, Alexandra Kurzak, dans une production lyrique.

Un nouvel éclairage brillant sur l’ouvrage

La mise en scène d’Arnaud Bernard s’inspire de faits historiques publiés dans la presse en 1882, évoquant l’omniprésence de la surveillance autour de la comtesse Olga. Un prologue inédit a été ajouté avant même que les premières notes de musique ne résonnent. Une projection numérique dévoile une page internet montrant un fait divers et une vidéo. En cliquant sur celle-ci, le rideau se lève, révélant Wanda, l’épouse de Loris Ipanov, dans une scène intime avec le futur époux de Fedora. Ils sont interrompus par l’arrivée furieuse de Loris, qui tire sur son ami, ne faisant que le blesser. Des agents secrets surgissent ensuite pour manipuler les preuves et accuser Loris à travers un kompromat soigneusement orchestré.

La temporalité a été déplacée vers une époque post-soviétique corrompue, où les services secrets exploitent la technologie pour détruire les réputations et effacer les traces de leurs victimes. Tous les personnages se révèlent être des agents doubles cherchant à compromettre Loris. Sous le regard impitoyable des caméras espions, la surveillance omniprésente devient un instrument de contrôle glaçant.

Dans sa scénographie, Johannes Leiacker juxtapose les fastes éclatants des palais de Saint-Pétersbourg et des salons parisiens à l’atmosphère feutrée mais inquiétante du Gstaad Palace en période de fêtes. Les ors étincelants et le luxe ostentatoire dissimulent des zones d’ombre menaçantes, dévoilant subtilement le poids du pouvoir et la tragédie imminente tapie derrière les apparences trompeuses.

Ce nouvel axe développé dans la mise en scène se révèle parfaitement cohérent avec le livret et la musique de l’œuvre. Il offre un éclairage inédit qui modernise le propos tout en conférant une dimension presque cinématographique aux passages orchestraux. La critique sous-jacente et la présence du kompromat, bien qu’omniprésentes, ne nuisent pas à la compréhension de l’intrigue. Les partisans de la tradition ne se sentiront pas dépaysés grâce à l’intégration subtile des éléments ajoutés, qui enrichissent l’œuvre sans en trahir l’esprit.

Un chef et un orchestre en parfaite symbiose

Cette résurrection genevoise s’inscrit dans une volonté salutaire de réhabiliter un opéra à la fois intime et spectaculaire. Fedora s’appuie sur une partition d’une richesse orchestrale remarquable, où les élans passionnés se heurtent à des moments d’introspection déchirante. Sous la direction inspirée d’Antonino Fogliani, l’orchestre du Grand Théâtre de Genève a su magnifier la puissance dramatique de l’oeuvre. Le mélodrame trouve ainsi une expression d’une intensité rare, soutenue par des airs sublimes et des rebondissements dignes des meilleurs récits tragiques.

Le maestro italien adopte une direction extrêmement contrastée, portant haut les couleurs du vérisme tout en y insufflant une vision personnelle empreinte de subtilité. Précis et profondément humain, il dilate certains tempi et accorde une place prépondérante aux silences, créant des effets saisissants qui intensifient le drame. L’opulence des cordes et la vigueur des cuivres soutiennent une interprétation vibrante et fidèle, où chaque nuance orchestrale trouve son sens.

Évitant habilement les pièges de l’exacerbation sentimentale souvent associés aux véristes, Fogliani privilégie une lecture délicate et raffinée. La musique de Giordano peut ainsi déployer toute sa force expressive sans jamais sombrer dans le pathos excessif.

Une distribution vocale cohérente

La question amoureuse est au cœur de l’intrigue de Fedora, portée par un éventail d’émotions intenses et contradictoires : fidélité, désir, audace, mais aussi jalousie, vengeance et remords. Le personnage principal incarne les archétypes dramatiques universels du deuil, de la trahison et du basculement de la haine à l’amour, tout en incarnant le mythe de la femme slave absolue. Dans ce rôle emblématique, autrefois magnifié par des figures légendaires comme Magda Olivero ou Mirella Freni, Aleksandra Kurzak déploie toute la richesse de son jeu théâtral. Impressionnante dans les graves, elle adopte une interprétation profondément vériste, mêlant chanté-parlé et émotion brute avec un réalisme saisissant. Ses aigus, bien que parfois en manque de projection, sont compensés par une maîtrise parfaite de ses moyens vocaux, lui permettant de distiller des pianissimi suspendus d’une rare intensité. La soprano polonaise excelle par sa théâtralité à fleur de peau, incarnant une Fedora passionnée et vulnérable.

Malgré quelques petites imperfections très vite oubliées, Roberto Alagna livre une interprétation généreuse et passionnée. Son engagement scénique et vocal reste impressionnant, notamment dans l’air emblématique « Amor ti vieta« , où il parvient à surmonter un tempo exigeant tout en maintenant une intensité émotionnelle constante. Son incarnation de Loris s’aligne parfaitement avec la vision du metteur en scène : un homme traqué, constamment surveillé et encerclé par des agents doubles déterminés à orchestrer sa chute. Cette tension omniprésente renforce l’intensité dramatique de son jeu et de son chant.

Simone Del Savio impressionne par la chaleur de ses graves et son aisance scénique, bien que son phrasé ne sonne pas très russe. La scène de provocation envers la femme russe constitue un moment de respiration comique savamment dosé. Soutenu par les chœurs énergiques du Grand Théâtre de Genève ponctuant la caricature par des « HEY » appuyés et une gestuelle précise, le baryton italien parvient à créer un contraste rafraîchissant au milieu du drame intense.

Yuliia Zasimova répond avec une verve tranchante et pétillante, évoquant l’effervescence du champagne qu’elle promeut. Son investissement total dans ce rôle de femme dominatrice, vêtue de cuir et de fourrure, ajoute une touche résolument théâtrale, parfois au détriment de la pureté vocale. La complicité de la comtesse Olga avec sa cousine aurait gagné à être davantage développée. Loin d’avoir une allure aristocratique, elle adopte plutôt un style déjanté et fantasque avant de se révéler également être un agent infiltré.

Parmi les nombreux rôles secondaires proposés par l’ouvrage, se détache le policier de Mark Kurmanbayev, sobre et efficace. Toujours parfaitement en place, avec une prononciation irréprochable, il apporte une présence scénique discrète mais essentielle. Les voix blanches des deux enfants, incarnant successivement le chant nostalgique du berger, insufflent une douceur touchante et une teinte de nostalgie, offrant un tableau pittoresque évoquant la Suisse. Leur interprétation ajoute une note d’innocence et de poésie dans la conclusion de l’opéra.

En somme, cette production de Fedora au Grand Théâtre de Genève a su redonner vie à un joyau trop longtemps délaissé. Un hommage vibrant à l’opéra vériste, dont la force émotionnelle n’a rien perdu de son intensité originelle. À Genève tout au long de ce mois de décembre, c’est Noël avant l’heure. Alors Joyeux Giordano !

 
 

 

 

Une étonnante FEDORA

Paul-André Demierre - crescendo-magazine.be - 14 décembre 2024

source: https://www.crescendo-magazine.be/a-geneve-une-etonnante-fedora/

 

Entre le 12 et le 22 décembre, le Grand-Théâtre de Genève propose un ouvrage qui n’a été affiché qu’une seule fois sur cette scène durant la saison 1902-1903, Fedora d’Umberto Giordano. Créé au Teatro Lirico de Milan le 17 novembre 1898 avec Gemma Bellincioni et le jeune Enrico Caruso sous la direction du compositeur, l’ouvrage a toujours souffert de la proximité avec celui qui l’a précédé, Andrea Chénier, quoique l’orchestration en soit beaucoup plus raffinée.

Pour la valoriser, Aviel Cahn, le directeur du Grand-Théâtre de Genève, fait appel au metteur en scène Arnaud Bernard et à Roberto Alagna et son épouse, Aleksandra Kurzak, qui y débutent dans un ouvrage lyrique sur ce plateau.

Basée sur une tragédie de Victorien Sardou taillée sur mesure pour Sarah Bernhardt, l’intrigue rocambolesque est focalisée sur la princesse Fedora Romazoff, décidée à venger coûte que coûte la mort de son amant, le frivole comte Vladimir, abattu par les coups de feu du nihiliste Loris Ipanov. A Paris, celui-ci s’éprend de Fedora, sans imaginer qu’elle l’a dénoncé à la police impériale russe. La vérité éclate au grand jour : Loris a tué Vladimir car il était devenu l’amant de sa femme. Fedora finit par céder à la passion de Loris en acceptant de l’épouser. Mais à Saint-Pétersbourg, l’engrenage fatal a provoqué l’arrestation du frère de Loris qui a été enfermé puis noyé dans l’une des geôles inondée par la Neva, nouvelle qui a causé la mort de leur mère. A Gstaad, l’écho de cette double tragédie parvient à la connaissance des deux protagonistes : Fedora qui en est l’instigatrice s’empoisonne et succombe dans les bras de Loris éperdu de douleur qui lui pardonne.

Selon les dires d’Arnaud Bernard, nous avons affaire à un thriller mélodramatique avec une musique sublime. Pourquoi donc le faire précéder d’un prologue sans texte ni musique où Vladimir se livre à un jeu sadomasochiste avec l’épouse de Loris, avant d’être abattu à bout portant par celui-ci ? Pourquoi transposer l’action à notre époque en travestissant les richissimes aristocrates russes de la fin du XIXe fréquentant les palaces européens en oligarques frauduleusement enrichis après la chute de l‘URSS ? Le procédé trouve une certaine plausibilité en faisant recours au ‘kompromat’, vidéo montrant un dignitaire en compagnie de prostituées, sans pouvoir affirmer qui est la personne filmée. Au premier acte, les décors et costumes de Johannes Leiacker nous entraînent dans un pavillon sordide peuplé d’une faune interlope où intervient un pseudo-médecin qui, en une alcôve latérale, réussira à étouffer sous les oreillers Vladimir mourant, sans que personne ne s’en rende compte. Beaucoup plus convaincants, les deux actes suivants, avec arrêt sur image dans le somptueux salon parisien de Fedora puis dans le lobby d’un hôtel de luxe de Gstaad, arborant un magnifique arbre de Noël. La direction d’acteur d’Arnaud Bernard y a le mérite d’être parfaitement lisible en fixant l’attention sur la liaison imprévisible qui unit Loris, le meurtrier, à la machiavélique manipulatrice de son destin.

Sur scène, le couple Alagna-Kurzak brûle les planches. En premier lieu, Aleksandra Kurzak campe une Fedora qui a l’indéniable présence d’une dignitaire de haut rang, prête à tout pour assouvir sa vengeance. L’on perçoit aisément le changement qui s’opère en elle sous l’emprise d’une passion dévastatrice. Son timbre de véritable lirico spinto a l’ampleur requise par les grandes envolées lyriques à partir de son premier monologue « O grandi occhi lucenti di fede ». Et sa triste fin sous l’effet du poison est bouleversante par ses murmures presque imperceptibles. Face à elle, Roberto Alagna, son époux à la ville, défie ses soixante ans et ses quarante ans de carrière avec l’engagement et le rayonnement qu’on lui connaît. La gageure de n’apparaître qu’au deuxième acte et de devoir délivrer immédiatement son célèbre arioso « Amor ti vieta » l’oblige à user d’un fortissimo péremptoire qui donne assise à ses moyens en lui permettant ensuite de jouer la carte de l’émotion dans la scena « Vedi, io piango » qui achève l’acte II. Dans le dernier tableau, les revirements de situation lui arrachent des accents d’une rare sincérité. Auprès d’eux, Simone Del Savio personnifie un De Siriex qui a le panache du mondain tirant effet de «La donna russa è femmina due volte », puis la grandeur d’âme du diplomate pondéré recourant aux moirures du timbre pour atténuer sa mission de sinistre augure. L’on croit moins à la Comtesse Olga de Yuliia Zasimova et à la pétulante acidité de son soprano qu’allégera la douleur de l’abandon de son amant-pianiste qu’incarne à la perfection David Greilsammer empêtré dans la perruque blanche d’un nouveau Liszt. Céline Kot a les accents touchants du petit Dimitri, alors que Mark Kurmanbayev a la morgue arrogante de Grech, l’inspecteur de police. De bonne tenue, les seconds plans Sebastià Peris (Loreck, un chirurgien) Igor Gnidii (Boroff, un médecin), Vladimir Kazakov (Cirillo le cocher), Louis Zaitoun (le baron Rouvel), Anna Manzoni (le garçon paysan). Et le Chœur du Grand-Théâtre préparé par Mark Biggins est remarquable dans ses quelques interventions au deuxième acte.

L’on en dira de même de la direction d’Antonino Fogliani qui m’avait paru bien tonitruante dans ses lectures de Turandot et de Nabucco. Ici à la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, il déploie un éventail de coloris raffinés et intensément lyriques qui n’ont aucune commune mesure avec le vérisme outrancier dont est fréquemment paré le réalisme sanglant d’Andrea Chénier. Donc, en résumé, une belle réussite d’ensemble.

FEDORA d’or

Clément Mariage – ForumOpera.com – 16 décembre 2024

source: https://www.forumopera.com/spectacle/giordanoClément MariageClément Mariage-fed…

 

La renommée d’Andrea Chénier dissimule l’œuvre d’Umberto Giordano comme Pagliacci et Cavalleria Rusticana dissimulent celles de ces contemporains Leoncavallo et Mascagni. Pourtant, il est l’auteur d’une petite quinzaine d’opéras, dont Fedora, peut-être la plus jouée de ses « œuvres secondaires » avec Madame Sans-Gêne et Siberia.

Adaptation d’une pièce que Victorien Sardou avait écrite pour Sarah Bernhardt, cette œuvre relate la destinée de la princesse russe Fedora Romazoff. À Saint-Pétersbourg, au premier acte, elle assiste impuissante à la mort de son fiancé Vladimir, assassiné. Quelques semaines plus tard, à Paris, elle suit la trace de l’assassin et déploie des trésors de séduction pour recueillir ses aveux et le livrer à la police. Elle découvre cependant que Vladimir la trompait avec l’épouse de Loris, ce qui explique et excuse son geste. Prise à son propre jeu, elle tombe follement amoureuse de Loris et fuit avec lui en Suisse. Mais la mécanique tragique est déjà en branle : suite à la dénonciation anticipée de Fedora, le frère de Loris s’est noyé dans sa cellule au bord de la Neva et sa mère meurt de chagrin. Persuadée de ne pouvoir obtenir son pardon, Fedora avale le poison qu’elle portait toujours en pendentif autour de son cou et meurt dans les bras de Loris qui l’absout, désespéré.

Le metteur en scène Arnaud Bernard puise dans l’arrière-plan politique de l’œuvre pour la faire résonner avec l’actualité et mettre en relief son allure de thriller policier. Le spectacle s’ouvre avec une capture d’écran d’une recherche internet sur « Fedora Romazoff ». En surfant sur le web, on rencontre la notion de kompromat, dont on lit une définition à l’écran : un moyen mis en œuvre par les services secrets pour compromettre un ennemi politique. Le rideau se lève et s’en suit une longue pantomime où l’on découvre Vladimir en pleine partie de jambes en l’air avec une jeune femme. Au même moment, des agents des services secrets observent les faits en vidéo sur une table de visionnage. C’est alors que surgit Loris dans la chambre : il tire sur Vladimir qui venait de sortir son arme. Cette scène originelle illustre le récit qu’en fera Loris à Fedora au deuxième acte, tout en introduisant dans l’intrigue un imaginaire de l’espionnage.

La présence obscure et constante d’espions au plateau au cours des trois actes semble révéler que Fedora elle aussi est victime d’une machination, comme si tout était manigancé pour la mener au suicide. Mais les raisons d’une telle élimination demeurent inconnues et cette complexification du livret ne fait que rendre l’intrigue un peu plus confuse et vaine, en quelque sorte, car elle la fait s’éloigner du romantisme noir et immédiat du livret. Ceci est d’autant plus vrai qu’on ne sait jamais vraiment à quelle époque on se situe, les costumes, les décors ou les situations oscillant entre des références aux années 1960 et 1990.

Le metteur en scène sait cependant s’appuyer sur une direction d’acteur fine et précise, permettant de suivre le parcours de chaque personnage et de frémir avec eux dans les moments les plus prenants. Les décors de Johannes Leiacker, majestueux et entièrement dorés (sauf là où agissent les agents du FSB, plongés dans un noir profond qui absorbe même les murs), assume la dimension fastueuse des lieux où se situe l’action. Au début du deuxième acte, le public applaudit même au lever du rideau, saluant comme au bon vieux temps la richesse du décor et la virtuosité des interprètes figés dans des poses diverses.

À la fin de l’œuvre, on retrouve l’écran de recherche internet du début. Le cadre de scène se referme sur une photographie des lieux de la mort de Fedora, en face d’un texte lacunaire et analytique qui rapporte son suicide. L’effet de cette conclusion est assez émouvant, car il ramène les torrents de passion qui viennent de déferler sur le plateau à un fait divers et nous rappelle que sous les lignes figées des informations journalistiques, rapportant les faits avec détachement, des cœurs ont palpité.

Giordano a réservé à ce livret foisonnant, aux accents de polar, une musique généreuse et pleine de variété. Sous la battue soutenue d’Antonino Fogliani, le premier acte file avec énergie jusqu’à l’annonce de la mort de Vladimir. Le second acte est plus varié, avec ses grandes scènes festives et son duo accompagné par un pianiste présent sur scène, jusqu’à l’interlude débordant de lyrisme où le chef mène l’Orchestre de la Suisse romande sur des cimes de sensualité débridée. Le chef est si engagé et en osmose avec les chanteurs à la fin de l’acte II qu’il en lance sa baguette sur le plateau.

Le dernier acte ménage quelques touches de couleurs locales, comme le chant d’un jeune garçon accompagné par l’accordéon, dont la douce mélancolie resurgit lors de l’agonie de Fedora. Fogliani prend au sérieux cette partition pleine de qualités, trop souvent disqualifiée pour son allure disparate ou ses épanchements lyriques, et met en valeur ses richesses et ses raffinements avec une conviction et un enthousiasme exemplaires.

Fedora est un rôle qui a toujours attiré les grandes divas, de Magda Olivero à Renata Scotto, en passant par Mirella Freni ou plus récemment Sonya Yoncheva. Aleksandra Kurzak ne fait qu’une bouchée de ce rôle à la mesure de sa démesure. La voix, d’une plénitude ébouriffante, est impeccablement maîtrisée, d’aigus filés délicats en graves poitrinés autoritaires. Le timbre laisse affleurer, sous ses couleurs lyriques, des marbrures de ténèbres qui révèlent la dimension tourmentée du personnage. Très mobile sur le plateau, délivrant toujours le texte à fleur de lèvres, l’interprète sait se faire tour à tour tigresse et enchanteresse. Les moments les plus bouleversants de la partition demeurent l’air de Fedora au premier acte « O grandi occhi lucent di fede », où Kurzak déploie une grande palette de nuances et d’expressions variées, ainsi que son agonie finale, qui nous arrache des larmes par son mélange d’intensité contenue et d’abandon désespéré.

L’alchimie de la soprano avec le ténor Roberto Alagna n’est plus à démontrer. Leur duo à la fin du deuxième acte, où Fedora avoue son amour à Loris et le supplie de rester chez elle pour ne pas tomber entre les mains de la police, est d’une virulence sauvage. La voix du ténor, qui fête cette année ses soixante ans, n’a rien perdu de sa franchise d’émission, de son mordant et de sa clarté, désormais éclaboussée de teintes minérales. On s’inquiète d’abord face à quelques aigus à l’intonation défaillante, mais ces inquiétudes sont vite balayées par la maîtrise des moyens vocaux et par l’engagement total de l’artiste. Il semble se consumer sur le plateau comme si c’était la dernière fois qu’il montait sur scène, ne reculant devant aucun excès expressif, toujours d’une justesse désarmante car pleinement vécus.

Fedora est une œuvre toute entière dévorée par la présence de son rôle-titre et qui laisse peu de place aux rôles secondaires pour se développer. Simone Del Savio est un De Siriex convaincant, à la voix de baryton habilement conduite et pleine de caractère. Yuliia Zasimova, admirée ici il y a quelques mois dans La clemenza di Tito, est une Olga absolument charmante, à la présence incandescente et au timbre frais et fruité. Quant à Mark Kurmanbayev, il incarne avec beaucoup de probité l’inspecteur de police Gretch. Des autres rôles secondaires qui ne font que des apparitions éclair, on retiendra surtout le Cirillo de Vladimir Kazakov, très expressif, et le serviteur de Céline Kot, qui fait montre d’une belle présence. La plupart de ces seconds rôles sont d’ailleurs tenus par des membres du Chœur du Grand Théâtre de Genève, persuasif dans ses interventions du deuxième acte.

Pour conclure, on ne peut que regretter que la mise en scène de cette production ne soit pas plus à la hauteur de l’excellence de l’équipe musicale, dont le couple principal constitue sans aucun doute un idéal pour cette œuvre aujourd’hui. La tension et la finesse de leur incarnation ne saurait que se développer encore plus brillamment d’ici la fin des représentations. Notons par ailleurs que le Grand Théâtre de Genève propose également deux représentations avec deux jeunes chanteurs russes, Elena Guseva et Najmiddin Mavlyanov, les 14 et 21 décembre.

 
 

 

 

FEDORA au Grand-Théâtre

Emmanuel Andrieu - classiquenews.com - 16 décembre 2024

source: https://www.classiquenews.com/critique-opera-geneve-grand-theatre-du-12-au-22-d…

 

Conçue pour Sarah Bernhardt qui en fit l’une de ses pièces de prédilection, Fedora de Victorien Sardou (à qui l’on doit aussi Tosca) fut adaptée en livret d’opéra par Arturo Colauti à l’intention d’Umberto Giordano. L’opéra est devenu une rareté sur les scènes lyriques, mais c’était sans compter sur l’imaginatif et toujours audacieux Aviel Cahn, le patron du Grand-Théâtre de Genève qui le met à son affiche en ce mois de décembre 2024.

L’ouvrage n’étant plus jamais donné, il convient d’en narrer l’histoire, avec une action qui se situe dans les années 1870. Le prince russe Vladimir Yariskine est assassiné la veille de ses noces avec la princesse Fedora, et celle-ci jure de venger son promis. En suivant les traces incertaines du coupable, elle arrive à Paris où elle fait la connaissance d’un compatriote, un peintre nommé Loris, et en tombe amoureuse. Il se trouve que c’est l’assassin qu’elle cherche et elle n’hésite pas à le dénoncer à la police russe dans une lettre. La lettre, arrivée en Russie, provoque l’arrestation du frère de Loris, comme complice du crime, mais le jeune homme se noie en prison à la suite d’une inondation de la Neva qui a envahi les cellules. La mère des deux meurt de chagrin. Cela amène Fedora à découvrir que le peintre avait été gravement offensé dans son honneur par le prince : c’était l’amant de sa femme, il les avait surpris ensemble. Dans l’échange de coups de feu, Loris était resté blessé et le prince Vladimir avait perdu la vie. Fedora, désespérée, s’ôte la vie avec le poison contenu dans une croix que lui avait offerte son mari la veille des noces…

Titre souvent à l’affiche dans les années cinquante et soixante, où brilla notamment Maria Callas, Renata Tebaldi et Magda Olivero qui en fit son rôle-fétiche, Fedora ne nécessite pas seulement une chanteuse-actrice d’exception, mais aussi d’un ténor spinto capable de faire délirer l’auditoire avec le fameux air « Amor ti vieta », mélodie tellement irrésistible que Giordano l’utilise comme leimotiv d’un bout à l’autre de la partition. En alternance avec la polonaise Aleksandra Kurzak, la soprano russe Elena Guseva soutient sans peine les irrésistibles élans vocaux de son personnage, de même que ses plongées dans le registre grave, s’abandonnant corps et âme à l’exaltation de l’amour. Elle se révèle aussi formidable actrice qu’excellente chanteuse et diseuse. La personnalité hautaine de la princesse, dotée d’un caractère impérieux et manipulateur, convient à la perfection au physique et au port de la cantatrice russe. Face à elle, l’excellent ténor ouzbèque Najmiddin Mavlyanov (en alternance avec Roberto Alagna) n’a pas de mal à lui tenir tête, avec sa voix de stentor. Créé par Enrico Caruso, le rôle de Loris lui va comme un gant : ardent, impulsif et entier, il sait pour autant insuffler passion et sentiment au fameux “Amor ti vieta”, et se montrer émouvant dans la déchirante scène finale. Le baryton italien Simone Del Savio est un De Siriex idéalement diplomate, au chant policé, flirtant aimablement avec la charmante Olga de Yuliia Zassimova, tandis que les seconds rôles sont tous à la hauteur de leur tâche.

Après son triplé “Manon” au Teatro Regio de Turin le mois passé, on retrouve le metteur en scène Arnaud Bernard à Genève où la forte communauté russe qui y vit semble lui avoir inspiré sa mise en scène. Avant les premiers accords de musique, l’on assiste à la mise en place d’un “Kompromat” incluant les protagonistes, l’action étant transposée dans la Russie soviétique des années 70, même si la scénographie situe plus l’action, ensuite, dans l’entre-deux guerres, ce qui brouille quelque peu la lisibilité de l’action. On ne se régale pas moins des décors toujours très “léchés” (signés Johannes Leiacker) et de l’esthétique très cinématographique propres au metteur en scène français.

En fosse, le chef italien Antonino Fogliani sait tenir l’Orchestre de la Suisse Romande, et surtout lui insuffle tout le pathos et l’emphase exigés par une œuvre qui trouve son identité dans les déferlements de la passion et dans l’abandon total à cette « volupté de boudoir », très proche d’une certaine esthétique française, celle de Massenet, par exemple. Et c’est toujours un vrai bonheur d’entendre cette musique aux effluves capiteuses qui vous trotte encore longtemps dans la tête près avoir quitté la salle…

FEDORA au Grand Théâtre : du grand spectacle

Elodie Martinez - opera-online.com- 16 décembre 2024

source: https://www.opera-online.com/fr/columns/elodie/fedora-au-grand-theatre-de-genev…

 

Bien que l’œuvre ne soit pas inconnue, la Fedora d’Umberto Giordano demeure – injustement – rare sur les scènes lyriques. Cela faisait d’ailleurs plus d’un siècle qu’elle n’avait pas été donnée au Grand Théâtre de Genève, qui en propose une nouvelle production signée Arnaud Bernard pour cette période de fin d’année.

L’intrigue nous plonge dans une sombre et tragique histoire de meurtre, de trahison et de vengeance, mais aussi et surtout d’amour. Vladimir, le fiancé de la princesse Fedora Romazoff, est assassiné et celle-ci décide de le venger en charmant le meurtrier. Las, en se rapprochant de lui, elle découvre la terrible vérité : l’exécution n’avait rien de politique, bien au contraire. Vladimir la trompait avec la femme du Comte Loris Ipanoff, celui qui a tiré le coup fatal. Il s’agissait donc d’une histoire d’infidélité. Malheureusement, la princesse a déjà envoyé un courrier en Russie au père de Vladimir, qui a donc arrêté le frère du Comte. Celui-ci est mort dans sa cellule, ce qui provoqua le décès de sa mère. Le Comte finit par apprendre la vérité sur l’espionne à l’origine de ses malheurs, et Fedora met alors fin à ses jours en s’empoisonnant afin d’obtenir le pardon de celui qu’elle aime dorénavant sincèrement.

Pour sa première mise en scène au Grand Théâtre de Genève, Arnaud Bernard promet un travail « qui reste fidèle à l’âme de l’opéra, mais qui parle à notre époque de manière sincère et profonde ». Ce qui le frappe dans Fedora, « c’est ce (qu’il) appelle le côté cinématique. Très détailliste et finalement aussi très chambriste. On est certes dans une écriture de feuilleton, mais construite sur des non-dits, des arrêts sur images, des flash-backs. On comprend l’histoire au fur et à mesure qu’elle se déroule ».

Nous retrouvons ce côté « cinématique » dans le travail scénique qu’il réalise. Tout d’abord avec l’emploi de la vidéo qui nous plonge dans une recherche internet sur le terme « kompromat » nous menant à sa définition. Il s’agit d’un « terme russe désignant des documents compromettants, authentiques ou fabriqués (c'est le cas le plus courant) qui sont utilisés pour nuire à une personnalité politique, un journaliste, un homme d'affaires ou toute autre figure publique, généralement un service de renseignement ». Un terme qui, inconsciemment, appelle la figure du KGB ou aujourd'hui du FSB... Au fil de la navigation, la fenêtre projetée s’ouvre sur un article agrémenté d’une photo. Le rideau se lève et la photo de l’écran se confond avec le décor. Le même procédé se fera en sens inverse pour la fin de la soirée, et le décor deviendra la photo d’un article annonçant que la princesse était victime d’un kompromat.

L’autre point pouvant rappelé la fabrique d’un film est l’apparition de la surveillance en coulisse, invisible aux personnages mais bien présente sur scène et sous les yeux du public. Les services de renseignements ne quittent pas la scène, observent, envoient des sbires dans l’œuvre, manipulent la narration sous notre regard parfois perdu. On le voit tout particulièrement durant la première partie – et la dizaine de minutes sans musique ouvrant la soirée – où l’on se retrouve plongé dans une chambre en compagnie de Vladimir et de sa maîtresse, en train de les filmer sous la surveillance des services secrets. Survient le Comte qui tire sur l’homme, vole la cassette,  puis disparaît avant qu’un groupe d’hommes ne vienne à son tour pour emmener Vladimir et assassiner la femme. Un peu plus tard, étrangement, le fiancé de la princesse ne mourra pas des suites de sa blessure mais étouffé sous un coussin par l’un des médecins qui l’a sauvé ! Une pirouette qui instaure que le Comte est bel et bien piégé puisqu’il n’est finalement pas responsable de cette mort.

Si le côté technique de ce travail scénique est parfaitement exécuté et appelle bien des éloges, sa raison d’être interroge davantage : avait-on besoin d’obscurcir encore un livret déjà quelque peu alambiqué ? Les coulisses politiques ainsi mises en lumière ne perdent-elles pas plus qu’elles n’éclairent le spectateur ? Car si l’on comprend la lecture globale, on sort perdu sur le rôle de certains personnages, à la fois dans le livret et dans ces services secrets. Quant aux luxueux décors de Johannes Leiacker, ils offrent une dimension spectaculaire qui fait toujours son effet et crée des espaces parfaitement lisibles et délimités. Quant aux dorures qui recouvrent les murs, elles présentent finalement chaque pièce, aussi immense soit-elle, comme une « prison dorée » dont Fedora ne s’échappera pas.

Afin de porter cette partition exigeante, il fallait réunir sur scène un couple à la hauteur des protagonistes, et c’est vers le couple star formé par Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna que s’est tourné le Grand Théâtre pour le plus grand plaisir du public. La soprano polonaise offre une première Fedora de grande qualité, terriblement humaine et complexe, au jeu naturel, investi et convaincant. La justesse d’interprétation se retrouve dans chaque geste, chaque intention portée sur scène, chaque regard. Si la princesse fait semblant, alors elle ne joue pas « comme si » elle faisait semblant : elle le fait et trompe les autres personnages de manière convaincante, sans jamais perdre le public, complice de son jeu. A la réussite scénique s’adjoint une superbe maîtrise de la partition : sa voix solaire s’élève avec autorité aristocratique sans en faire trop, avec la profondeur de l’amante éperdue ou joyeuse selon la scène, ou encore de l’espionne vengeresse à la double lecture. Le chant se met entièrement au service du personnage sans jamais perdre de sa superbe, avant de mourir dans de dernières notes déchirantes.

Roberto Alagna, pour sa part, reprend ici un rôle dans lequel il a déjà brillé à Milan en 2022. La puissance de la projection a de quoi impressionner même les oreilles les plus aguerries. La voix chaude monte en puissance pour réchauffer la salle et briller de mille feux. Peut-être un petit peu trop par moments : en effet, si l’on ressort heureux d’avoir entendu une telle voix se déployer, on aurait peut-être apprécié qu’elle s’apaise par moment pour davantage de nuances encore dans la projection. Le jeu, pour sa part, ne souffre aucun reproche et la complicité du couple est un réel atout pour la production. Le héros est à la fois viril et fragile, puissant et fissuré, tourmenté sans oublier d’être léger dans son nouvel amour... La complexité et la richesse du Comte s’affichent avec une simplicité déconcertante qui convainc sans demi-mesure.

Difficile dès lors de briller aux côtés d’un tel couple, d’autant plus que la mise en scène en fait des personnages véritablement secondaires qui auraient peut-être pu être mis davantage en avant. Ainsi, Yulia Zasimova incarne une Comtesse Olga Sukarev presque effacée malgré son caractère expansif. La ligne de chant est fine et brille dans les aigues mais se perd parfois dans les graves. Heureusement, la cantatrice sait occuper la scène et se distinguer du reste de la foule, de même que le De Siriex de Simone Del Savio, également diplomate. La voix est profonde et charismatique, parvenant à donner la réplique avec l’autorité nécessaire au deux personnages principaux. La ligne de chant est ferme, mais sait se nuancer pour passer d’un registre festif à un autre plus dramatique.

L’inspecteur de police de Mark Kurmanbayev est sombre à souhait, offrant un personnage manichéen qui fait son travail au service avant tout de l’Etat. Il apparaît comme un exécutant, et son souhait de trouver l’identité du coupable semble être davantage lié à sa volonté de bien faire son travail qu’à celle d’une quête de vérité. L’ensemble des autres comprimari est à saluer, donnant naissance à des personnages qui se mêlent et ressortent de la foule qui gravite autour du couple vedette.

Enfin, l’autre grande satisfaction de la soirée provient de la fosse, où Antonino Fogliani a mené l’Orchestre de la Suisse Romande avec maestria. Le vérisme de la partition devient orfèvrerie, en extirpant tout le lyrisme sans pour autant la dénaturer. Sachant les forces vives qu’il a sur scène, il n’hésite pas à lâcher les rênes pour un déferlement musical de premier ordre, quitte parfois à ce que certains solistes en pâtissent. Les Chœurs du Grand Théâtre de Genève se tirent pour leur part avec homogénéité de leurs parties qu’ils servent avec le talent que nous leur connaissons.

Au final, le Grand Théâtre de Genève offre à son public du grand spectacle, avec un couple vedette à la hauteur de sa renommée. Bien que la mise en scène apporte davantage de questions qu’elle ne propose de réponses – nous ne saurons probablement jamais pourquoi la princesse est ici victime du kompromat ni quel est le but de ce dernier – elle demeure fastueuse et techniquement très réussie. Ce serait dommage de se priver d’un tel spectacle !

FEDORA à Genève

Jules Cavalié – Avant-Scène Opéra – 16 décembre 2024

source: https://www.asopera.fr/articles/2947/fedora

 

Succès de Victorien Sardou incarné en scène par Sarah Bernhardt, Fedora impressionne dès 1882 le jeune compositeur Umberto Giordano, qui reçoit en 1896, après le triomphe d’Andrea Chénier, l’autorisation du dramaturge pour en écrire l’adaptation lyrique, créée en 1898.

Dans une Russie tsariste sclérosée, où attentats et règlements de comptes sont monnaie courante, le comte Loris Ipanoff venge son honneur en assassinant le prince Vladimir Andreïevitch, fiancé de Fedora. Celle-ci jure d’obtenir réparation, elle suit donc Ipanoff jusqu’à Paris, obtient ses aveux, le dénonce à la police impériale – en impliquant le frère du comte –, puis mise en présence de la preuve du « bien-fondé » de l’assassinat – le prince Vladimir avait pris pour maîtresse la jeune épouse d’Ipanoff et se fichait comme d’une guigne de sa future épouse – elle tombe éperdument amoureuse de celui qui est devenu à ses yeux un valeureux justicier. Au dernier acte, les deux amants filent le parfait amour au grand air des Alpes suisses, jusqu’à ce que Fedora puis Loris apprennent que le frère et la mère de ce dernier ont péri à cause de la dénonciation. Le mâle comte n’est pas aussi prompt au pardon que son amante, et sa mansuétude n’intervient qu’après avoir maudit, avec force brutalité, la dénonciatrice qui, de honte, s’est empoisonnée.

Sentiments exacerbés, confrontations, honneurs bafoués, aveux, vengeance… le livret propose une palette dramatique à ne pas mettre entre toutes les mains. En effet, la partition fut créée par Gemma Bellincioni et Enrico Caruso, immenses chanteurs, mais aussi acteurs de grand talent, capables – à l’image de Sarah Bernhardt – de composer des personnalités d’envergure. Or, la partition doit être aidée, car si l’ensemble baigne dans un mélodisme séducteur, rares sont les moments où l’intensité musicale se concentre, même si l’intérêt va croissant tout au long de la soirée. Le principe du dialogue en musique, d’un parlando continu qui bascule à loisir dans le lyrisme le plus renversant, n’est pas animé ici de la même invention que chez Puccini : le principe est bien rôdé mais les moyens ne se renouvellent pas. Par conséquent, la charge qui pèse sur les épaules des interprètes est d’autant plus grande. Ainsi c’est d’abord à travers les échanges vifs et bien caractérisés entre les comprimarii que se noue le lyrisme de la pièce, même si parmi eux, seul le cocher compte un air en propre.

Malheureusement, à Genève les voix manquent, et plus encore l’italien intelligible – d’ailleurs bien souvent une émission trop générique et une confusion entre son fort et projection efficace obèrent une diction qui, autrement, serait sans doute de meilleur effet.

Simone Del Savio assume le rôle versatile de l’attaché d’ambassade De Siriex, au I, il suggère le nom d’Ipanoff comme suspect, au II, il aide à le confondre, au III, il apporte les mauvaises nouvelles à Fedora tout en faisant preuve d’empathie à l’égard de Loris. Bref, le personnage est étrangement caractérisé : successivement inquiétant, hâbleur (« la donna russa »), ou fatalement amical, la diversité des affects n’en fait pas pour autant un personnage complexe, tout juste dira-t-on qu’il faut un « fort en gueule ». Del Savio est un peu trop sage, le timbre assez clair messied au seul rôle qui peut apporter un peu de noirceur et le chant manque de relief pour composer un personnage. Aleksandra Kurzak (Fedora) cultive et fabrique depuis quelques années son bas médium en assombrissant la couleur, sonore et bien projeté, tout en ayant conservé un aigu précis. Très en forme lors de cette soirée, elle donne une belle autorité à Fedora, plus femme à poigne qu’aristocrate, et donne toutefois à la mort du personnage sa couleur tragique au moyen de belles demi-teintes. Roberto Alagna est tel qu’en lui-même : la voix demeure splendide malgré l’âge et un volontarisme qui l’a conduit à chanter sans se ménager. Ainsi son timbre solaire se pare-t-il de couleurs ambrées, et la ligne vocale est toujours soutenue généreusement. En outre, il est le seul à proposer un italien parfaitement intelligible, indispensable pour la crédibilité du drame.

En fosse, Antonino Fogliani dirige avec précision, sans pathos inutile, avec énergie et subtilité, mettant en valeur les beautés de la partition. Vrai chef de théâtre, il fait attention au plateau, dirige aussi le chant et maintient la tension dramatique

La mise en scène d’Arnaud Bernard propose de raconter les déboires de Fedora comme les conséquences d’une tentative de Kompromat mise en péril par l’intervention d’Ipanoff. Une très longue séquence initiale – près de dix minutes lourdement didactiques – nous donne la définition du Kompromat (compromission par l’obtention ou la fabrication de documents compromettants) au moyen d’une recherche Google qui mène de la définition à une actualité dont une image se superpose au tableau scénique et permet (finalement) d’entrer dans le récit. On assiste donc aux ébats du prince Vladimir et de Wanda (épouse de Loris), mais cette dernière semble en réalité agir pour le compte des services secrets qui documentent amplement la scène jusqu’à ce que Loris entre et blesse le prince d’un coup de feu. Il ne décèdera pas des suites de cette blessure, mais d’un étouffement provoqué par le médecin, lui aussi à la solde des services secrets… Dispositifs d’enregistrement, présence permanente d’une agente en tailleur gris (façon Lotte Lenya dans James Bond) permettent de tirer le fil tout au long de l’opéra. Le parti pris n’apporte rien à la compréhension de l’œuvre, ne lui ôte rien, et n’empêche pas d’en saisir le déroulé ni les affects, c’est un banal gadget contextuel. On pourrait d’autant mieux s’en passer qu’Arnaud Bernard est un bon faiseur : la direction d’acteurs est habile, les lumières sont cinématographiques et créent une ambiance de thriller. Le spectacle aurait sans doute bénéficié d’un approfondissement de cet aspect-là, plutôt que d’un éparpillement dans un concept décoratif et non-opérant.

Sex and Crime – and Politics

Peter Krause – concerti.de – 12 décembre 2024

source: https://www.concerti.de/oper/opern-kritiken/grand-theatre-de-geneve-fedora-12-1…

 

Das Operntraumpaar Aleksandra Kurzak und Roberto Alagna beweist in Umberto Giordanos „Fedora“, dass sich Sänger-, respektive Startheater und Regietheater keineswegs ausschließen.

 „Wie sich die Bilder gleichen“, singt der Maler Mario Cavaradossi im ersten Akt von Puccinis „Tosca“, als er die Schönheit (und die Augenfarbe) seiner Geliebten und jener der Maria Magdalena vergleicht, die der Künstler in der römischen Kirche Sant‘Andrea della Valle gerade auf Leinwand bannt. Er tut dies in einer jener maximal wirkungsvollen tenoralen Kurzstreckenarien, auf die sich offenbar kein Komponist so genialisch verstand wie Giacomo Puccini. Doch womöglich macht ihm Umberto Giordano den Rang streitig, der mit seiner „Fedora“ – kaum mehr als ein Jahr vor der zu Anfang 1900 aus der Taufe gehobenen „Tosca“ – womöglich bereits das Modell schuf: Der schwärmerisch wie melancholisch sich verströmende Arienhit „Amor ti vieta“ ist bereits nach 100 Sekunden vorbei, man wünscht sich viel mehr davon, bekommt dessen prägnanten melodischen Einfall dann im Laufe der Oper immerhin als Erinnerungsmotiv im rein orchestralen Gewand geboten, wenn Fedora an die erste Begegnung mit Loris zurückdenkt. Am Grand Théâtre de Genève darf Roberto Alagna zur Premiere das (zur Uraufführung einst von Enrico Caruso intonierte) Signet der Oper zum Besten geben, anhimmeln darf er dabei Aleksandra Kurzak, mit der im wahren Leben ein Paar bildet – die beiden mutieren in Genf nun in der Tat zum Traumpaar der Oper.

Die Geschichte wiederholt sich

Wie sich die Geschichte weltpolitisch wiederholt, so gleichen sich die Bilder in „Tosca“ und „Fedora“. Nicht nur, weil hier wie da ein Theater-Thriller mit der legendären Heroine Sarah Bernhardt aus der Feder des Victorien Sardou für die nachfolgenden Opern Pate stand, wobei die einstigen Schauspielversionen längst von den Bühnen verschwunden, die Fassungen fürs Musiktheater aber seit mehr als hundert Jahren für volle Säle sorgen. Sondern auch, weil die sich gleichenden Bilder mitsammen von Sex and Crime – and Politics erzählen, von übelsten Intrigenabgründen, schneller Liebe und spontanem Totschlag, wenn denn der Ehemann seinen Nebenbuhler mit der eigenen Gattin erwischt.

Auf den ersten Blick riecht die „Fedora“ nach einem späten Kolportageroman des 19. Jahrhunderts. Da wartet im St. Petersburg des Jahres 1881 Fürstin Fedora Romazoff auf die Hochzeit mit Graf Vladimir Andrejevich. Doch der hat sie in der Nacht davor noch mit einer anderen betrogen. Deren Mann, Loris Ipanoff, wiederum entdeckt die beiden in flagranti, wird dabei von Vladimir angeschossen, den er daraufhin tödlich verletzt. Fedora schwört Rache, trifft Loris in Paris wieder, den sie in einem nach Russland gesendeten Brief des Mordes beschuldigt. Die beiden verlieben sich, doch das Räderwerk des Schicksals und der Politik verhindert ihr Glück, auch als sie sich im Berner Oberland scheinbar in Sicherheit befinden. Fedora fühlt sich durch ihren Brief schuldig am Tod von Loris‘ Familie. Sie nimmt Gift und stirbt in den Armen des Geliebten.

Die grauen Männer und Frauen eines düsteren Systems

In seiner Genfer Regie verlegt Arnaud Bernard das Geschehen gemeinsam mit seinem Ausstatter Johannes Leiacker aus dem spätzaristischen Russland in die Umbruchzeit der späten Glasnostphase, in der die anfänglichen Hoffnungen auf ein postsowjetisches freies Russland der Erkenntnis gewichen sind, dass die alten Strukturen der flächendeckenden und gnadenlosen Überwachung des Einzelnen unvermindert weiter bestehen. Der KGB mochte im Dezember 1991 offiziell aufgelöst worden sein. Die Wirkungsmacht der Geheimdienste und der Geheimpolizei wurde seitdem indes nur technologisch verfeinert und brutal perfektioniert. So wird denn auch bereits die noch vor dem ersten Giordano-Ton saftig ausgespielte Sexszene der Affäre von Fedoras Verlobtem mit Loris‘ Frau in einer Art rotlichtigem Edelbordell von einer Videokamera aufgezeichnet und live in die Kommandozentrale der grauen Männer eines düsteren Systems überspielt. Big Brother is watching you – und wenn es durchs Schlüsselloch hindurch in intimste Bereiche sein muss.

Spioniert wird allenthalben, die Überwachung funktioniert bestens, wer auch immer da gerade an der Spitze des Staates steht. Im ersten Akt, in dem Arnaud Bernard die Unmöglichkeit des Privaten im Angesicht der politischen Allmacht vorführt, wirken die fiesen, mitunter überzeichnet grotesken Gestalten einer finsteren Welt noch allzu plakativ. Läuft da gar ein Wiedergänger Lenins in Slow Motion durchs Bild? Das Konzept einer Gesellschaft, in der es – frei nach Adorno – kein wahres Leben im falschen geben kann, wird denn doch allzu dekorativ ausgebreitet. Der fiese Chirurg, der Fedoras Verlobtem unter krassen Schmerzensschreien, wie sie dann auch ein Cavaradossi in seiner Folterszene ausstößt, die Pistolenkugel aus der Brust entfernt, der bringt den jungen Mann dann in einem unbeobachteten Moment mal schnell um die Ecke. Die Bösen sind hier noch richtig böse.

Es ist nicht alles wahres Gold, was glänzt

Doch die holzschnittige Opern-Kolportage wird alsbald weit differenzierter ausgearbeitet und damit dann auch überwunden und in ein zu Herzen gehendes Drama verwandelt. Im zweiten, dem Paris-Akt, vertraut der Regisseur nach der deftigen Exposition des ersten weit mehr der Macht der Musik – und jener des Gesangs. Das Ambiente, das Johannes Leiacker erdacht hat, spricht gleichwohl Bände. In jedem Akt variiert er die These, dass nicht alles wahres Gold ist, was glänzt. Auf dem Pariser Maskenball gemahnen die hohen güldenen Wände an die Grandezza eines Salons, wie er auch Verdis „La traviata“ gut zu Gesichte stehen würde. Eine einzige starke Bildfindung reicht hier aus, um die konstante Gefährdung des schönen Scheins zu verdeutlichen: Am Rande der luxuriösen Zusammenkunft sitzt eine regungslose graue Maus – eine Frauengestalt als Abgesandte des alles sehenden Big Brother. Der KGB ist überall. Dessen Grau macht das Gold fahl.

Gleichwohl darf Alagna nun sein seit bald 40 Jahren ungebrochenes tenorales Charisma verströmen, auch wenn es eben zunächst nur die 100 Sekunden seines „Amor ti vieta“ sind. Noch stärker wird der Sängerstar in der folgenden Erzählung und im großen Duett mit Fedora – dem heimlichen Höhepunkt des Stücks, in dem Giordano beweist, dass er eben kein kleiner Puccini ist, sondern – mindestens – auf Augenhöhe mit seinem Zeitgenossen komponiert hat. Aleksandra Kurzak und Roberto Alagna gehen auf die Knie, wälzen sich auf dem Boden. Ach, das ist ganz große Oper, Sängeroper zumal, die ihre Wirkung ohne Umschweife entfaltet und gar nicht in jedem Moment der psychologischen Feinzeichnung bedarf.

Detailverliebte Delikatesse des Orchesterklangs

Giordanos kompositorische Gewitztheit offenbart sich in seinen klugen Einsprengseln von musikalischem Lokalkolorit, das die russischen, französischen und schweizerischen Schauplätze konzis nachzeichnet. Gar ein Nachfolger Chopins darf im Salon am Flügel aufspielen, er trägt die üppige Haartracht des Franz Liszt. Welch‘ eine intelligente, eben nie nur herzerwärmenden Partitur! Maestro Antonino Fogliano und das Orchestre de la Suisse Romande zeigen denn auch famos, welche Zwischentöne in den Notenzeilen stecken, sie verfeinern mit Fortune, legen die Polyphonie und Nebenstimmen offen, zelebrieren lukullische Pianissimi. Der Umberto Giordano des Antonio Fogliano hat ganz viel detailverliebte Delikatesse und weit weniger Dekor der Oberflächenreize oder gar kompositorische Kolportage, als man bei ihm sonst zu hören bekommt.

Das Sängerensemble, bis in die Nebenrollen prägnant besetzt, dankt es dem Dirigenten. Neben Alagna und seiner heldischen, gleichwohl mediterran glänzenden und abschattierten Strahlkraft, die auch in der Höhe nichts an Fokus eingebüßt hat, glänzt Aleksandra Kurzak mit ihrem cremigen, aristokratischen, eleganten, in der Mittellage an Fülle gewonnenen Sopran, der seine lyrischen Wurzeln nicht leugnet, in der vokalen Fedora-Anlage darin an Mirella Freni erinnert und doch stets damenhafte Herrin des Stimmgeschehens bleibt. Intendant Aviel Cahn macht den Melomanen des Grand Théâtre de Genève ein üppiges Weihnachtsgeschenk und zeigt damit: Sänger-, respektive Startheater und Regietheater schließen sich keineswegs aus.

 
 

 

 

FEDORA au Grand Théâtre

Geoffrey - opera-diary.com - 13 décembre 2024

source: https://opera-diary.com/2024/12/13/fedora-grand-theatre-de-geneve/

 

On Thursday, December 12th, I had the pleasure of attending the premiere of Fedora at the Grand Théâtre de Genève (GTG). This opera by Umberto Giordano, often overshadowed by his masterpiece Andrea Chénier, is a gem in its own right. Having immersed myself deeply in Andrea Chénier, I was eager to explore Giordano’s second most famous work. The experience was nothing short of a revelation.

A Modern and Captivating Staging

Director Arnaud Bernard delivered a brilliant and contemporary vision for this production. The opera begins with a character navigating the history of Princess Fedora Romazoff on the internet, jumping between slides and websites—a bold and ingenious choice that immediately captured my attention. This digital framework closes the story as well, with the protagonist shutting down their computer in a final, frozen image. It’s a smart and striking approach that brings Fedora into the modern age without compromising its emotional core.

The set design and costumes were equally noteworthy, combining elegance and authenticity. The second act, set in a lavish reception hall in Saint Petersburg, was a visual highlight of the evening. Add to that a breathtakingly played intermezzo, and the result was a feast for both the eyes and ears.

The chemistry between Roberto Alagna and Aleksandra Kurzak, both onstage and in real life, is magnetic. Aleksandra Kurzak dazzled as Fedora, delivering soaring high notes and a nuanced, passionate performance. She captured the inner turmoil of the princess, torn between love and duty, and her connection with conductor Antonio Fogliani was evident throughout.

Roberto Alagna, a true living legend, proved once again why he is so beloved. His portrayal of Loris Ipanoff was fiery and emotionally charged, with his powerful and nuanced voice drawing the audience into every moment. His stage presence is unmatched, and his ability to convey vulnerability and strength is remarkable.

Antonio Fogliani, no stranger to the Grand Théâtre de Genève, brought the score to life with fervor. Having previously impressed with productions such as Nabucco, he approached Giordano’s music with deep understanding and emotional precision. The orchestra, particularly the strings during the intermezzo, delivered a standout performance that resonated with the audience.

Minor Drawback

The evening wasn’t without its small flaw. For an opera with a runtime of about 1 hour and 40 minutes, the inclusion of multiple intermissions felt unnecessary. These breaks occasionally disrupted the narrative flow and diluted the dramatic tension. However, this minor issue was easily overshadowed by the exceptional quality of the production.

Kompromat suisse

Vincent Borel - concertclassic.com – 13 décembre 2024

source: https://www.concertclassic.com/article/fedora-dumberto-giordano-au-grand-theatr…

 

Est-ce la présence d’une importante communauté russe dans la riche Genève ? Le clin d’œil au troisième acte de Fedora, qui se déroule à Gstaad ? Ou le livret de Victorien Sardou, avec ses personnages issus de la noblesse slave décadente ? Autant de raisons qui ont inspiré au metteur en scène Arnaud Bernard une vision relativement contemporaine de ce drame de vengeance et de jalousie.

On commence par googliser un kompromat imaginaire défrayant les news de la RTS. On assiste à son sordide montage durant un prologue muet montrant l’assassinat du fiancé de la princesse Fedora Romazoff. En coulisses, une équipe du FSB espionne et enregistre. Dommage que les images proposées hésitent sans cesse entre les années 1920 et 1970, car cette tentative de moderniser l’intrigue, déjà confuse, n’en facilite guère la lisibilité. Jouer pleinement le registre d’une oligarchie contemporaine aurait apporté davantage de clarté.

Mais finalement, peu importe, car ce mélodrame aux faux airs de Tosca est essentiellement une affaire de voix et d’endurance pour le rôle-titre. Il semble avoir été taillé sur mesure pour Aleksandra Kurzak. Plastique aristocratique, engagement dramatique, instrument voluptueux, : confortable dans les graves, tranchante et lumineuse dans le registre haut, elle délivre de superbes sons filés, avec un je-ne-sais-quoi de capiteux et de blessé. Loris, son malheureux amant, est Roberto Alagna. La voix, que l’on sent désormais plus fragile, reste celle d’un ténor royal et solaire. Intensité, phrasé impeccable, et surtout cette fantastique générosité du chant que la planète entière lui reconnaît. On ressort de ce mélodrame à nouveau heureux du don que cet artiste incomparable nous fait.

Aux côtés du duo star, des seconds rôles solides, comme le Siriex de Simone Del Savio ou l’Olga perverse de Yuliia Zasimova. Une surprise de taille : la présence de David Greilsammer, en véritable pianiste façon Franz Liszt, à qui revient un moment clé de la partition, l’accompagnement au piano d’un trop court duo du deuxième acte. C’est là l’une des belles surprises musicales d’Umberto Giordano, avec le chant enfantin du final qui nous renvoie brièvement au Tour d’écrou de Britten comme à Wozzeck. Le vérisme devient soudain autre chose qu’une déferlante de sentiments sirupeux. La direction d’Antonino Fogliani et l’Orchestre de la Suisse Romande mêle élégance et souplesse. Les chœurs (préparés par Mark Biggins), ici bien plus figurants que protagonistes, restent, comme à leur habitude, impeccables. Notons que pour les représentations des 14 et 21 décembre, le couple Alagna cédera la place à Elena Guseva et Najmiddin Mavlyanov.

La FEDORA de Giordano dans la Russie de Poutine

Emmanuel Dupuy – Diapason - 13 décembre 2024

source: https://www.diapasonmag.fr/critiques/grand-theatre-de-geneve-la-fedora-de-giord…

 

Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna triomphent dans les rôles principaux de ce grand mélo, sous la direction musicale précise d’Antonino Fogliani. La mise en scène d’Arnaud Bernard ancre le drame dans le monde contemporain, tout en assumant ses fastes spectaculaires.

Outre Andrea Chénier, Umberto Giordano a composé bien d'autres opéras, dont cette rare Fedora, destin de femme fatale, inspiré, comme Tosca, d'une pièce de Victorien Sardou. Mais le chef-d’œuvre puccinien est autrement puissant et efficace, Fedora pâtissant d’un livret passablement tarabiscoté qui multiplie ellipses et complications inutiles, si bien qu’on peine souvent à suivre les péripéties et l’évolution psychologique des personnages.

C’est l’histoire de la princesse russe Fedora Romazov. A Saint-Pétersbourg, on vient de tuer Vladimir, son fiancé. Elle jure de se venger et compte y parvenir en séduisant l’assassin, Loris Ipanov, exilé à Paris. Mais Fedora est prise à son propre piège : apprenant que le vrai coupable est Vladimir, elle s’entiche du meurtrier. Les amoureux se sont réfugiés dans l’Oberland bernois, Fedora est prête à pardonner. Trop tard : emprisonné sur les ordres de la princesse, le frère de Loris est mort en détention, sa mère l’a suivi dans la tombe. Quand Loris découvre la vérité, Fedora avale le poison.

Intrigue politique

Du grand mélo sans complexe, donc, auquel Arnaud Bernard croit utile d’ajouter un stratagème politique. Son spectacle débute par un trop long (une bonne dizaine de minutes) prologue muet. D’abord une requête sur un moteur de recherche, autour du terme Kompromat – qui, dans la Russie de Poutine, désigne des documents, le plus souvent fabriqués, visant à porter préjudice à un opposant. S’ensuit une scène de débauche montrant un homme dévêtu (Vladimir) en train de se faire piéger par une call-girl qui filme leurs ébats afin de transmettre la vidéo aux sbires du FSB. Surgit Loris, qui tire le coup de feu fatal sur Vladimir et subtilise l’enregistrement. A la fin de l’opéra, la vidéo est restituée aux services secrets, responsables de la mort de Fedora nous apprend une dépêche projetée sur le rideau de scène.

Si elle relève de l’arbitraire le plus complet, cette nouvelle intrigue a au moins le mérite d’ancrer le drame dans notre monde contemporain, tout en lui apportant un peu de substance. Reconnaissons surtout la qualité de la réalisation : sur le plan visuel, grâce aux décors ruisselants d’or conçus par Johannes Leiacker, qui assument les fastes spectaculaires des différents lieux de l’action ; sur le plan théâtral, grâce à une direction d’acteur acérée, créant quelques superbes tableaux vivants (début de l’acte II), en phase avec texte et musique (ainsi, à la fin, cette scène jouée au ralenti quand la mélodie vacille).

Oiseau rare

Si Fedora a longtemps déserté l'affiche, c’est aussi faute de combattantes : le rôle-titre exige un grand spinto, doublé d’une nature de tragédienne hors norme. Aleksandra Kurzak est-elle cet oiseau rare ? Pas vraiment. Son registre supérieur est certes toujours lumineux, mais la soprano semble souvent pousser ses moyens, d’où une forme de raucité dans le grave, au détriment de la nuance. L’artiste se consume cependant dans son incarnation avec le feu de la passion, les accents du désespoir le plus sincère et, quand elle quitte ce monde, juste ce qu’il faut de larmes. Cette fière héroïne est chérie par le Loris de Roberto Alagna qui, à soixante ans passés, reprend un rôle étrenné il y a seulement deux saisons à Milan. Au début, la voix bouge un peu, l’aigu est sous tension ; mais bien vite, le ténorissimo retrouve sa vaillance, sa générosité légendaire, son timbre solaire, irrésistible dans les instants de fougue comme dans ceux qui requièrent davantage de douceur.

Les personnages secondaires sont peu développés. A De Siriex, diplomate français qui complote à plusieurs moments de l’opéra (et a droit à un air pittoresque à l'acte II), Simone Del Savio prête son baryton solidement charpenté. Yuliia Zasimova, soprano d’agilité au timbre charnu et juvénile, est Olga, amie de Fedora – et ce soir espionne russe. Saluons aussi la belle basse de Mark Kurmanbayev, inquiétant chef de la police.

Dirigeant l’Orchestre de la Suisse romande, Antonino Fogliani tend la nervure d’une partition où l’inspiration, il faut bien l’avouer, souffle par intermittence. Cette battue précise soutient des lignes vocales toujours vigoureuses, unifie le disparate de l’écriture, souligne ses raffinements, en particulier dans le bel intermezzo de l’acte II.

Au bonheur des services secrets russes

Rocco Zacheo – Tribune de Genève - 13 décembre 2024

source: https://www.tdg.ch/grand-theatre-fedora-au-bonheur-des-services-secrets-russes-…

 

Le thriller d’Umberto Giordano retrouve la scène avec une lumineuse Aleksandra Kurzak dans le rôle-titre et un OSR inspiré.

D’un coup, nous voici alors plongés au cœur même du Grand Théâtre, avec un prologue quelque peu inutile, absent du livret: les ébats de Vladimir et de son amante sont brutalement interrompus par l’arrivée de Loris. De deux coups de feu, celui-ci se fait justice en tuant les coupables. Le tout étant filmé, dans une pièce parallèle, par des agents des services secrets bien présents durant toute la pièce, œuvrant par petits gestes, dans un ralenti permanent. Le «kompromat» est ainsi consommé. Le «spoiler» également, par ce premier tableau.

Bien rythmée, cette nouvelle production affiche des tableaux à la beauté plastique certaine, marqués ici et là par une maîtrise fine des mouvements de foule. La première scène du deuxième acte est en ce sens un vrai régal: la grande fête donnée par Fedora dans sa résidence parisienne brille de mille feux, avec ses invités masqués, tantôt figés en statues, tantôt survoltés par l’alcool; avec aussi ses figures pittoresques, tel ce pianiste surjouant le génie – un David Greilsammer qui endosse à merveille le costume de comédien. On est saisi également par le tableau suisse, dans un chalet de Gstaad, dans lequel on perçoit au troisième acte une touche de sarcasme et d’ironie envers la haute société, avec ses rituels mondains et ses obsessions du paraître.

Sauf quelques réserves, le front musical convainc tout autant. Dans la fosse, tout d’abord, où le chef Antonino Fogliani dévoile son aisance et sa profonde connaissance de ce répertoire. Sous sa direction, l’Orchestre de la Suisse romande est toujours dans la justesse expressive, dans la précision et dans un raffinement qui fait merveille. On pense en particulier à cet interlude instrumental du deuxième acte, reprenant le thème d’«Amor ti vieta», transcendé par des archets et une harpe poignants.

Projection prodigieuse

Sur les planches, Aleksandra Kurzak remporte la mise et fait un triomphe dans un rôle-titre incarné pour la première fois. Sa voix généreuse, ses graves enveloppants, son médium qui porte loin, même à «mezza voce» (quelle scène finale, la sienne!), et sa musicalité ont renversé la salle. À ses côtés, très attendu, Roberto Alagna affiche moins de souplesse. Du ténor, on connaît notamment ses facultés en matière de projection vocale, qui demeure prodigieuse. Hélas, il manque à son Loris une palette plus affinée dans l’expression et l’incarnation, une sensualité qui fait défaut notamment dans cet air topique qu’est «Amor ti vieta», abordé de manière bien trop véhémente et monolithique, alors que tout est finesse dans ses mots de séduction.

Peu convaincant dans la première partie, en délicatesse avec les tempos de la «Canzonetta russa», Simone del Savio se bonifie nettement dans le troisième acte, d’une voix assurée, aux graves conquérants. Relevons encore les éclats de Yuliia Zasimova, qui couronne avec sa comtesse Olga une production globalement aboutie.

Espion mais pas trop à Genève

Damien Dutilleul – Olyrix.com – 13 décembre 2024

source: https://www.olyrix.com/articles/production/7993/fedora-umberto-giordano-opera-g…

 

Parmi les évènements de cette fin d’année, l’Opéra de Genève présente le rare Fedora de Giordano, avec un couple central formé par Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna.

En cette fin d’année, le Grand Théâtre de Genève programme Fedora, opéra d’Umberto Giordano tiré d’une pièce de Victorien Sardou (tout comme Tosca). L’intrigue voit une princesse russe, Fedora, poursuivre Loris, le meurtrier de son fiancé Vladimir, jusqu’à Paris. Après l’avoir dénoncé, elle apprend qu’il a en fait tué pour défendre son honneur et sa vie. Alors qu’ils tombent amoureux l’un de l’autre, la nouvelle leur arrive que la dénonciation de Fedora a provoqué la mort du frère et de la mère de Loris, ce qui conduit la jeune femme au suicide. Musicalement, l’œuvre monte en régime au fil de la partition : si l’acte I plante le décor sans offrir de page réellement marquante, l’acte central livre des moments festifs, un beau quatuor et deux airs puissants, tandis que l’acte final génère une tension dramatique (par la détresse de Fedora mise face aux conséquences de ses actes) poignante.

La baguette d’Antonino Fogliani n’est sans doute pas pour rien dans cette tension croissante. L’Orchestre de la Suisse Romande livre en effet un son dense et lié, donnant à la partition couleur et relief.

Arnaud Bernard choisit de placer l’intrigue de nos jours. Après une vidéo montrant une recherche sur « Xplore » (alias de Google) pour expliquer les éléments-clés permettant de comprendre la mise en scène, une longue séquence théâtrale est ajoutée en introduction, montrant les circonstances de la mort de Vladimir, qui n’est ici qu’un coup monté des services secrets russes. Cet angle, bien servi par une direction d’acteurs au cordeau, permet à la fois de garder l’intrigue du livret inchangée, d’y ajouter un didactisme bienvenu pour une œuvre peu connue, tout en adjoignant une complexité supplémentaire à l’histoire. Toutefois, lorsque le rideau tombe, l’apport dramaturgique ne semble pas évident : qui a finalement été piégé, et pourquoi ? Les décors et costumes de Johannes Leiacker, bien mis en valeur par les lumières de Fabrice Kebour, laissent apparaître un faste qui déclenche à lui seul les applaudissements du public à l’ouverture du rideau de l’acte II.

La distribution se montre très homogène, avec en figure centrale le couple Kurzak-Alagna dont la complicité est un atout incontestable, et qui partage cette même capacité à nuancer leur chant jusqu’à l’extrême. Aleksandra Kurzak trouve dans le rôle-titre un ambitus à sa mesure : depuis des graves de pierre, ardents et sûrs, jusque dans des suraigus ciselés et pur, elle garde une maîtrise totale de son instrument, qu’elle manie avec dextérité et nuances. Sa voix est longue et tenue, son vibrato paisible, et son jeu scénique percutant (même si sa colère pourrait être plus virulente après les aveux de Loris).

Roberto Alagna ne s’en laisse pas compter en Loris, attaquant avec vaillance les passages les plus tendus de la partition, notamment par ses aigus resplendissants. Sa voix garde son timbre et sa technique si reconnaissables avec ses portés de voix et son vibrato légèrement creusé. Il garde aussi cette capacité si particulière à imprégner son chant de ses émotions (la peine, la colère, le regret) en colorant son timbre et en fléchissant son vibrato.

Simone del Savio apporte à De Siriex une certaine complexité, appuyant sur l’ambivalence de ce personnage, joyeux drille prompt à la fête, mais porteur de mauvaises nouvelles. Il dispose pour cela d’un baryton ferme et puissant, idéal pour le répertoire italien, et d’une capacité à moduler ses phrasés pour passer de la gravité à la légèreté.

En Olga, Yuliia Zasimova se montre agile de sa voix fine et ferme, brillante dans l’aigu, mais qui tend à s’éteindre dans le grave. Elle occupe bien la scène, virevoltant comme le ferait une Musetta. Mark Kurmanbayev chante Grech, l’inspecteur de police, d’une voix concentrée et noire, bien projetée.

Les interprètes des autres rôles sont tirés du Chœur du Grand Théâtre de Genève, par ailleurs très investi scéniquement et homogène vocalement (il est d’ailleurs perturbant de retrouver les serviteurs de l’acte I très reconnaissables dans le chœur d’aristocrates de l’acte II). David Webb interprète avec dynamisme un Désiré cabot et articulé, au timbre râblé, qui met quelques mesures à trouver son ampleur. Vladimir Kazakov est le cocher Cirillo. Il dispose d’une voix slave, brillante et sombre, capable de beaux élans lyriques. Sebastiá Peris est le chirurgien Lorek, à la voix bien ancrée dont il cherche les graves en baissant le menton. Igor Gnidii est un Boroff à la voix sombre et mate, pas toujours stable. Louis Zaitoun campe un Baron Rouvel prompt à la fête et à la séduction, avec une voix bien projetée au legato langoureux. Céline Kot (Dimitri) est un serviteur à la voix ourlée, douce et brillante. Enfin, Georgi Sredkov (Sergio) et Rodrigo Garcia (Nicola) sont deux serviteurs au jeu engagé et aux voix ardentes.

À l’heure des saluts, le public applaudit longuement les artistes, ovationnant même le couple d’interprètes central, mais aussi le chef et l’équipe de mise en scène.