Atys

Jean-Baptiste Lully
Atys

tragédie en musique en 5 actes et un prologue
du 27 février au 10 mars 2022

Direction musicale Leonardo Garcia Alarcon
Mise en scène Angelin Preljocaj
Scénographie Prune Nourry
Costumes Jeanne Vicérial
Lumières Eric Soyer
Dramaturgie  Gilles Rico
Direction des chœurs Alan Woodbridge
Chorégraphie Angelin Preljocaj
   
Atys Mattheuw Newlin
Cybèle Giuseppina Bridelli
Sangaride Ana Quintans
Célénus Andreas Wolf
Idas - Phobétor Michael Mofidian
Doris - Iris - Flore Gwendoline Blondeel
Mélisse Lore Binon
Le sommeil - Zéphyr Nicholas Scott
Morphée - Dieu du Fleuve Valerio Contaldo
Le fleuve Sangar Luigi De Donato
Le Temps Andreas Wolf
Phantase José Pazos

Cappella Mediterranea
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Ballet du Grand Théâtre

En coproduction avec l'Opéra royal de Versailles

Grand Théâtre de Genève

Vos critiques

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Revue de presse

Atys balla a Ginevra

Franco Soda – Giornale della Musica - 16 Mars 2022

source: https://www.giornaledellamusica.it/recensioni/atys-balla-ginevra

 

Successo per Lully firmato Preljocaj

Il Grand Thèatre de Genève propone un titolo ormai iconico dopo il répechage firmato dal tandem William Christie - Jean-Marie Villégier (1987), unanimemente considerato la scintilla che ha innescato la ‘Baroque renaissance’, Atys di Jean-Baptiste Lully. Tragédie lyrique, ossessione di Luigi XIV, narra di un quadrilatero amoroso: Atys ama Sangaride, promessa al re Célérus, ma è amato da Cybèle. Quando ci sono di mezzo gli dei, chi ci rimette sono gli umani… Rappresentazione dell’ineluttabilità del destino.

In Francia le opere sono sempre intercalate da danze. Qui la regia è del coreografo Angelin Preljocaj che legge la trama attraverso la danza: i cantanti stessi sono chiamati a questa arte; al corpo di ballo è affidata la rappresentazione del sottotesto del libretto: danza elegante e minimalista, talvolta sensuale, comunque narrativa. Dicotomia tra movimenti fluidi ed elastici dei video Bill Viola contrapposti e i gesti teatrali che terminano in pose scultoree alla Bob Wilson dei cantanti. Splendido il corpo di ballo del Teatro che si fa notare per intensità espressiva e souplesse così come il coro luminoso anch’esso chiamato all’esibizione… ginnica alla quale non si sottraggono neanche i cantanti… ballerini.

Cast di lusso. Sangaride (Ana Quintans) rivaleggia nella linea di canto con Cybèle (Giuseppina Bridelli) come Atys (Matthew Newlin) con Célérus (Andreas Wolf): luminosa negli acuti l’una, venata di sottile perfidia la voce dell’altra, brillante il timbro del primo dalla dizione perfetta nonostante non sia francofono, voce piena e rotonda del secondo. Anche i ruoli minori si fanno notare per pulizia e accuratezza.

Leonardo Garcia Alarcón alla testa della Cappella Mediterranea in stato di grazia, non si è peritato di sforbiciare la partitura perché la tensione narrativa raggiungesse il climax, che sfiora la tensione drammatica quando Sangaride muore: melodia del coro che echeggia Orfeo che piange Euridice (Gluck).

Le scene di Prune Nourry vanno dal muro megalitico del Tempio di Cybèle (come non pensare al Kotel?) a delle radici (del pino in cui Atys sarà trasformato?).

Applausi a non finire. Generoso bis cantato da tutti.

Precede l’esecuzione dell’opera l’inno ucraino arrangiato per orchestra barocca dallo stesso Alarcón.

"Vous chantiez ? J'en suis fort aise. Eh bien ! Dansez maintenant."

Guy Cherqui — wanderersite.com - 16 mars 2022

source: https://wanderersite.com/2022/03/vous-chantiez-jen-suis-fort-aise-eh-bien-danse…

 

Atys de Lully est un titre fondateur dans le paysage musical, parce que c’est la représentation de cet opéra qui a déclenché en France la vogue baroque tant le succès de la mise en scène de Jean-Marie Villégier et de l’approche de William Christie ont enraciné définitivement dans le répertoire des opéras ce répertoire encore peu exploré à l’époque (1987). Et comme les œuvres fondatrices et les productions qui les ont portées, celle-ci est restée trente ans à l’affiche dans tous les théâtres lyriques de France.

Alors, proposer en 2022, 35 ans après la redécouverte de l’œuvre, une nouvelle production exigeait d’aller dans une toute autre direction, ce qui est aussi une manière de faire vivre l’œuvre en montrant qu’elle résiste à d’autres approches. Et c’est Angelin Preljocaj, qu’on ne présente plus, chorégraphe mondialement célèbre, qui s’y est collé, se confrontant pour la première fois à l’art lyrique.

 

Le couple chorégraphie-opéra, le contexte historique

Le couple chorégraphie-opéra est en lui-même fondateur en France : l’Opéra est né comme Académie Royale de Musique et de Danse en 1669, les deux arts sont liés et Louis XIV, le roi Soleil, non seulement adorait l’opéra, mais était lui-même un danseur paraît-il excellent, comme Hyacinthe Rigaud le souligne dans son fameux portrait officiel du Roi à la jambe élégante et au mollet flatteur, même à un âge déjà avancé pour l’époque (63 ans). La danse était un élément central de la représentation (au sens théâtral et symbolique) royale.

Et le XXe (voire la fin du XIXe), est jalonné d’efforts pour fusionner les deux arts à travers des personnalités hors pair comme Isadora Duncan ou Loïe Fuller dès le tournant du XIXe/XXe puis de grands chorégraphes à commencer par Maurice Béjart. Preljocaj arrive donc à l’opéra après Béjart (Traviata) et d’autres, et plus récemment Sasha Waltz (Tannhäuser à la Staatsoper de Berlin) ou Sidi Larbi Cherkaoui (Les Indes Galantes à la Bayerische Staatsoper, voire Das Rheingold à la Scala de Milan et à Berlin pour la mise en scène de Guy Cassiers) ou Anne Teresa de Keersmaker pour Così fan tutte à Paris

Le défi n’est pas si facile à relever et bien des tentatives sont des demi-succès ou de vrais échecs : chanter exige un effort physique pas toujours combinable à l’effort physique nécessaire pour la danse. La question du corps se pose, ainsi que la question de la fusion mouvement chorégraphique/mise en scène d’un texte/ chant. On comprend dès lors que les résultats puissent être contrastés ou frustrants. On doit donc saluer la tentative genevoise à l’aune de cette histoire des relations harmonieuses ou accidentées de la danse et de l’opéra. Mais il est clair que ces relations se sont installées ensemble aux origines, même si Atys est une tragédie lyrique et non une tragédie-ballet, ce qui signifie que le texte a une importance encore plus grande, voire fondatrice.

La question du texte est effectivement déterminante dans le répertoire de la tragédie lyrique, bien plus forte qu’ensuite au XIXe où certains livrets sont faiblards, et même au XVIIIe ou une « industrie » des livrets se développe, dont certains sont utilisés par plusieurs compositeurs.

Au XVIIe, et notamment à la cour de France, c’est très différent, parce que l’opéra est un art neuf, importé d’Italie par Mazarin qui invite Luigi Rossi créant Orfeo en 1647 dans la salle du palais Cardinal avec les machines de Torelli.

Dans la ligne de la volonté royale, il s’agit de créer un art « français », et tout dans les actions de Louis XIV vise à puiser dans l’art notamment italien pour créer une école française en peinture, en sculpture, en architecture et évidemment en musique. De là la création de l’Académie de France à Rome (l’actuelle Villa Medicis) en 1666, de l’Académie royale de musique et de danse (1669) c’est à dire l’Opéra, et de la Comédie Française en 1680, sans parler de la construction de Versailles, après l’échec du séjour du Bernin à Paris en 1665, qui devait rénover le Louvre, dont la colonnade est confiée en bout de course au français Claude Perrault. Versailles est confiée notamment à Le Vau, architecte du Roi. Il s’agit d’affirmer un art français (qui évidemment existait avant Louis XIV, mais le Roi singularise ce qu'il touche) destiné à accompagner l’affirmation de la Monarchie après les années très troublées qui suivirent la mort de Louis XIII.

Louis XIV ne faisait que suivre la tradition des cours italiennes de la Renaissance qui utilisaient l’art à des fins (géo)politiques, et évidemment de la cour de François 1er, référons-nous simplement aux tribulations de Leonardo (Léonard de Vinci) entre la Toscane, Milan, Urbino, puis les rives de la Loire ou à l’incroyable richesse artistique de la Mantoue des Gonzague. Louis XIV continue une tradition déjà bien enracinée, mais qui prend alors encore plus d’importance dans l'Etat le plus peuplé et le plus puissant d'Europe.

C’est dans cette ambiance qu’il faut apprécier Atys de Jean-Baptiste Lully (qui est florentin… Giambattista Lulli), sur un livret de Philippe Quinault. Et ce dernier n’est pas le moins important. Auteur de comédies, de tragi-comédies et de tragédies, Quinault est souvent considéré comme le fondateur de la tragédie lyrique, à la racine de la manière française de faire de l’opéra.

Quinault impose à la cour, le seul endroit en France qui produit de l’Opéra (à la différence de Venise ou Londres), la puissance du texte. Là non plus il n’y a rien d’original. L’opéra est créé dans les cercles florentins et à Mantoue comme un mouvement intellectuel qui consiste à retrouver la tragédie grecque, où diction, psalmodie et chant se tressaient. Le grec et l’italien, langues accentuées, le permettaient mieux que le français, encore qu’au XVIIe, même si les réformes académiques l’avaient fortement « épurée » (ou castrée ?), la langue était à peine plus accentuée. Il reste que l’alexandrin crée un rythme, qui donne à la tragédie française quelque chose d’un chant (voir la subtile alchimie du vers racinien). Dans les années 1670, Racine est le grand phare du théâtre tragique français. Même si Corneille est encore vivant, il est d’une autre époque. Les rivalités dans le milieu vont bon train (voir Bérénice de Racine et Tite et Bérénice de Corneille). Dans le petit milieu littéraire, et malgré son succès, Quinault ne peut guère entrer en compétition sur ce terrain, il en choisit un autre, une « niche » dirait-on aujourd’hui, non exploitée par les autres, le texte mis en musique et il va y exceller. C’est un écrivain d’une qualité telle qu’il peut donner au texte l’importance qui lui revient, dans la tradition des premiers opéras italiens, c’est pourquoi la composante textuelle est essentielle dans ces œuvres fondatrices, bien plus que plus tard : il faudra Wagner pour recentrer la composition de l’opéra autour du texte, ce que le XXe va développer. Et ce qui fait l'originalité de l'opéra français, ce n'est pas Lully (italien), c'est e texte en français de Quinault.

L’autre composante essentielle de l’Opéra à la cour, c’est la composante festive et spectaculaire : des traces, des gravures, des souvenirs de fêtes magiques de l’époque nous sont parvenues. Pour résumer au mieux, c’est l’époque où l’on ne fait pas forcément entrer des machines sur les scènes de théâtre, mais où l’on construit des théâtres autour des machines…

La composante spectaculaire est déterminante dans un art qui est « confisqué » par une cour à qui le roi offre du plaisir et du divertissement. Même Madame de Maintenon, qu’on décrit volontiers comme une femme de piété, a priori éloignée du théâtre, non seulement fera écrire à Racine du théâtre pour les demoiselles de Saint Cyr (Esther et Athalie), mais a commencé elle-même sa vie dans les milieux artistiques, puisqu’elle est la veuve du poète Scarron, qu’elle tint salon et eut des contacts avec tout le monde intellectuel de l’époque. Rien d’étonnant à ce qu’elle aimât Atys aussi, à l’instar de Louis XIV, son futur (et secret) mari.

Ainsi la tragédie lyrique est d'abord tragédie, et donc a priori plutôt hiératique et retenue, et lyrique, chantée, mise en musique, dans un contexte spectaculaire, c'est un paradoxe : impensable de présenter à la cour quelque chose qui ne fût pas spectacle. Ce sont deux termes antagonistes, que d’une certaine manière, la musique de Lully va unir.

Le contexte de production
Il n’y a donc pas de contradiction au contraire, à voir la tragédie lyrique préférée de Louis XIV devenir un grand spectacle chorégraphique, après avoir été pendant trente ans la référence en terme de spectacle baroque, puisque Jean-Marie Villégier fut l’un des grands défenseurs de ce répertoire au théâtre, remontant des œuvres oubliées des XVIe et XVIIe par exemple de Pierre de Larivey, Jean de Rotrou ou Tristan l’Hermite et des raretés de plus grands auteurs comme l’Heraclius de Corneille. Mais il monta aussi Monteverdi à Nancy et Metz dès 1985, sous la direction de Gustav Leonhardt. Quant à William Christie, il est avec Les Arts Florissants, la racine autour de laquelle se développe toute la musique baroque en France. Rien d’étonnant qu’ils se trouvent en 1987 pour monter Atys, et rien d’étonnant à ce que leur partition soit reprise par Leonardo Garcia Alarcón pour cette série de représentations.

Si la musique et le style restent évidemment « baroques » avec une formation, la Cappella Mediterranea, née pour jouer ce répertoire et un chef célèbre aujourd’hui pour ses interprétations de musique ancienne, la production tourne le dos à l’imagerie baroque telle que nous l’ont imposée Villégier et Christie, mais aussi d’autres metteurs en scène. Il était en effet totalement inutile de suivre ce sillon déjà amplement labouré par les deux créateurs en 1987, il fallait donc une rupture. En ce sens le Grand Théâtre de Genève, en décidant de programmer Atys, a choisi, justement, la rupture totale, et le choix affirmée de la rencontre de l’antique et de la modernité.

Même si à 65 ans Angelin Preljocaj arrive à un moment de sa carrière où il est une « institution », avec un statut de référence chorégraphique reconnue, il ose pour la première fois se lancer dans l’opéra : quand on est un authentique créateur, on va de l’avant. Il associe dans la production Prune Nourry, la plasticienne assez en vogue en ce moment, une image de modernité, mais aussi du spectaculaire avec ses grandes architectures monumentales et il réserve aux costumes la part plus hiératique, par l’appel à Jeanne Vicérial, qui a conçu à la fois des costumes qui permettent aux chanteurs d’être à l’aise dans leur corps pour danser (parce qu’ils dansent) et qui évoque vaguement le Nô japonais, dont Preljocaj est un fin observateur et connaisseur. Le Nô est un drame lyrique aristocratique, particulièrement stylisé qui aide à boucler la boucle de la tragédie classique, autre forme de stylisation.

En fait, et sans préjuger du résultat, les composantes du spectacle sont une version d'aujourd’hui, avec des langages contemporains, d’un drame du passé, c’est l’inverse d’une actualisation : c’est au contraire l’inscription d‘une œuvre ô combien formelle dans d’autres formes, créant une autre alchimie, une autre émulsion, ou un précipité.

L’alchimie suppose l’union des éléments pour créer un produit nouveau, original et tout aussi précieux. La question est de savoir si l’on a réussi scéniquement à produire l’or attendu (ce qui est après tout le but de l’alchimie…).

Il y a incontestablement des moments forts, spectaculaires, qui remplissent l’immense nef du Grand Théâtre dont la scène est énorme, ainsi que la fosse (rendant quelquefois l’acoustique d’ailleurs difficile). Il y a pour moi une différence notable entre la première et la deuxième partie, qui est due essentiellement non à la conception de Preljocaj mais à l’œuvre elle-même qui va en se resserrant dramaturgiquement.

Comme toute tragédie, les deux premiers actes posent les données, commencent à composer les nœuds, qui se serrent au troisième et se dénouent pendant les actes suivants. Il s’agit ici d’amour, de trahison, et de fatalité.

On aime beaucoup et trop dans Atys :  Célénus le roi des Phrygiens aime Sangaride qui aime Atys, aimé à son tour par la déesse Cybèle qu’il sert puis trahit… Sangaride aimée par deux hommes, Atys par deux femmes dont une Déesse ce qui n’est jamais très bon si l’amour n’est pas payé de retour…

Voici le texte de la légende telle qu'Ovide la raconte (Fastes, IV 221–246)

Un signe de la muse m'apprit que j'avais deviné. "D'où vient, lui dis-je encore, cette rage de se mutiler soi-même." Je me tus, et la Piéride commença ainsi : "Au milieu des forêts, un enfant phrygien, d'une beauté remarquable, nommé Attis, inspira une chaste passion à la déesse couronnée de tours ; [4, 225] elle voulut se l'attacher pour toujours, et lui confier la garde de ses temples. "Conserve toujours, lui dit-elle, ta pureté d'enfant." Attis promit d'obéir. "Si je manque à ma promesse, dit-il, que ma première faiblesse soit mon dernier plaisir." Il succomba cependant, et cessa d'être enfant dans les bras de la nymphe Sangaris. [4, 230] La déesse, irritée, veut se venger. L'arbre de la naïade tombe sous les coups de Cybèle ; la naïade ne faisait qu'un avec l'arbre : elle périt avec lui. La raison du jeune Phrygien s'égare ; croyant que le toit de sa demeure va s'écrouler, il prend la fuite, et gagne les plus hauts sommets du Dindyme. [4, 235] "Éloignez ces flambeaux ! s'écrie-t-il, éloignez ces fouets!" Souvent il jure que les furies de Paleste sont à ses côtés ; il se déchire le corps avec une pierre sanglante, et sa longue chevelure traîne au milieu d'une impure poussière. "C'est bien, dit-il ; que mon sang coule pour expier ma faute ; [4, 240] périsse cette partie de moi-même qui est cause de mon malheur." Et, avant d'avoir achevé ces paroles, il se frappe à l'aine, et toute trace de virilité a disparu. C'est cet acte de fureur qu'imitent les ministres efféminés de Cybèle, quand, les cheveux épars, ils retranchent avec le fer ce membre qu'ils méprisent." [4, 245] Ainsi la muse d'Aonie, à la voix mélodieuse, leva tous mes doutes sur la cause de ces violences.

Comme on le comprend, l’automutilation d’Atys serait l’origine du clergé de Cybèle composé d’eunuques. Voilà ce qu’il en coûte d’aimer…

La tragédie est totale, puisqu’aucun aimé ni aucun aimant ne s’en sortent vraiment. Amertume deuil et désolation.

On comprend dès lors que Louis XIV ait apprécié l’œuvre, car sa vie de jeune roi commença par un amour impossible, celui de Marie Mancini nièce de Mazarin auquel il renonça pour raison d’État. D’une certaine manière, il est Atys et Cybèle à la fois, amant et aimé en retour, mais pris dans un conflit de loyauté envers Cybèle dont il est le prêtre. Cybèle de son côté emploie comme prêtre Atys qu’elle aime, alors qu’elle n’aurait pas le droit de l’aimer. Le pouvoir absolu n'est jamais aussi absolu qu'on le croit. Quand à Célénus le roi, il est comme dirait Blaise Pascal, un roi plein de misères, puisqu’il aime dans le vide, trompé parce que non aimé.

Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire, dirait Racine. Atys est une longue mélopée du mal d’amour.

La production genevoise
Cette douleur qui est intrinsèque à chaque personnage, la production pourtant ne réussit pas à toujours nous la faire ressentir de l’intérieur. Il y a une vraie beauté formelle dans l’ensemble du spectacle, mais la forme ne rejoint pas toujours la substance.

Comme on l’a souligné, et comme dans toutes les tragédies, les nœuds sont tous posés à la fin du deuxième acte et se serrent dès le troisième qui est le moment où la crise est insupportable et demande un dénouement.

Ainsi dans cette première partie découvre-t-on les nouveaux équilibres proposés par le spectacle, des ensembles, des mouvements qui ne sont pas de simples gestes, mais de vrais mouvements de chorégraphie, en un savant équilibre assez séduisant à regarder mais qui ne réussit pas à pleinement faire entrer dans le drame. Le prologue a été réduit à un dialogue entre le Temps et Flore, des forces  qui déterminent les rythmes naturels et qui peut-être annoncent la transformation finale, mais aussi les attributs de Cybèle, la grande mère, déesse de la nature sauvage et de la fertilité. On rentre donc dans l’œuvre presque in medias res puisque dès le premier acte, les héros ont parlé, Atys à son ami Idas, puis Sangaride et Atys s’avouent leur inclination. Tout est dit, tout est noué et donc tout est fini.

Tout se noue dès que les héros parlent : la parole révèle et fait crise dans la tragédie. Et parler c’est forcément décider d’aller contre le destin. Parler, c’est créer la fissure. À partir du moment où l’on parle l’écrasante machine tragique se met en mouvement et va jusqu’au bout. La seule décision du héros est parler, ensuite, tous les mécanismes le conduisent, volens nolens à disputer son destin à la fatalité et perdre, évidemment.

La première partie est marquée par une chorégraphie d’ensemble où l’on découvre que les chanteurs eux aussi sont impliqués, par des mouvements qui sont répliqués par les danseurs. Est-ce une bonne idée ? Le spectateur est contraint de comparer, même si les mouvements des chanteurs (et notamment Matthew Newlin, Atys) sont souvent valeureux et justes, d’abord ils sont contraints à triple peine, chanter, dire, danser, et ce n’est pas mince défi. On salue donc la prise de risque et l’engagement, mais on n’est pas toujours convaincu du résultat, pas forcément d’ailleurs esthétique : le geste, qui doit être expression et traduction d’un état d’âme ne semble pas toujours habité et surtout, l’œil est sans cesse sollicité et presque distrait de la concentration tragique.

Belle idée de Prune Nourry que ce mur qui rappelle les murs antiques ou presque cyclopéens, à la fois fermant l’horizon, mais aussi fendu par des fissures où passent les artistes ; mur qui se fissure, comme les âmes a priori blindées qui se laissent envahir par l’amour, qui dans le bel ordonnancement des destins, est le chien dans le jeu de quilles qui vient bouleverser l’ordre du monde. Aussi ces fissures sont-elles à la fois signe d’un destin qui ne se dessine pas aussi évident que de prime abord, mais aussi de lieux où s’engouffrent les êtres. Il suffit que s’ouvre une fissure pour qu’on ait envie d’aller y voir de plus près. Belles images, dont les fissures deviennent bientôt racines, signe du destin qui va attendre Atys.

On est donc prisonnier par un écheveau de contradictions : c’est très séduisant, très beau à voir quelquefois, avec de jolis gestes qui prolongent le chant, un savant mélange qui fait alchimie des genres, mais jamais vraiment émouvant, comme si l’abondante présence des corps nous cachait la chair. Assez conforme en quelque sorte à notre modernité faite de prééminence de la forme. Peu de moments touchent vraiment, même si on reste fasciné par certains épisodes.

Le troisième acte constitue la bascule avant la catastrophe : Atys trop amoureux de Sangaride, Cybèle trop amoureuse d’Atys et le roi Célénus au milieu : les choses se tendent. C’est le moment de la fameuse scène du sommeil aussi assez bien réglée, mais plus célèbre à cause du chant où Nicholas Scott (Le Sommeil) et Valerio Contaldo (Morphée) se partagent la nuit agitée d’Atys, qui est un clair résumé du nœud tragique auquel est soumis le héros  entre songes agréables et songes funestes qui lui exposent sa situation face à Cybèle. Une situation bloquée qui va amener au nom de l’exigence absolue de préservation de l’amour la cascade de catastrophes qui essaiment les quatrième et cinquième actes.

Les choses deviennent d’une certaine manière plus hiératiques, la scène essentiellement en noir et blanc, le décor raréfié et l’abondance de scènes à deux personnages sans les chœurs fait qu’on rentre, à mesure que l’intrigue se noue, dans une sorte d’intimité assez bien traduite par les mouvements, ainsi de la scène entre Célénus et Atys,  où entre les deux circule Sangaride, effleurant Atys à chaque passage auprès de lui et ne touchant jamais Célénus à qui elle était promise, mouvement répété et d’une grande élégance qui devient vite émotion.

On retrouve les grands moments des tragédies, les quiproquos tragiques : d’un côté Cybèle perd patience devant un Atys qui cherche à gagner du temps (« qu’Atys dans ses respects mêle d’indifférence ! », avec cette lucidité typique des héroïnes mal aimées de la tragédie classique, et de son côté Atys cherche à préserver maladroitement sa position auprès de Cybèle, et du même coup Sangaride se croit trahie au début de l’acte IV. Dans ce jeu, l’être et l’apparence dansent un ballet dangereux qui fait mener un risque vital aux héros, Atys ment en empêchant le mariage entre Célénus et Sangaride (il déclare que Cybèle s’y oppose : juge et partie, le prêtre de Cybèle s’enfonce dans la trahison et l’aveuglement) pendant que l’acte IV s’achève par deux scènes chorales de très belle facture scénique (c’est le gage évident au spectaculaire dont nous parlions au départ) où la nature, les fleuves dont le fleuve Sangar, théoriquement père de Sangaride, les fontaines célèbrent un mariage qui va être brutalement interrompu par l’enlèvement maladroit de Sangaride.

Ainsi, à la relative composition ordonnée des trois premiers actes, terminés par ce songe agité d’Atys, succède un acte de « coups de théâtre pendant lesquels Cybèle qui avait clôt le troisième acte nourrit dépit et désir de vengeance sans doute pendant un acte où elle n’apparaît pas. La déesse laisse les humains se piéger eux-mêmes et se prendre dans les filets qu’ils se tendent. Il y a là une dramaturgie claire : l'acte IV est sans Cybèle tandis que l’acte V est construit autour de la vengeance de la déesse. Les mouvements scéniques séduisent, mais ne traduisent pas toujours les méandres des âmes.

L'acte V est une succession de drames, de morts, de désespoirs, à mesure que la déesse déchaine sa vengeance. Elle était non plus déesse amoureuse mais presque femme amoureuse, elle redevient la déesse vengeresse, changement de statut. Les gestes des chanteurs sont toujours très contrôlés, toujours guidés par un mouvement chorégraphique, qui ont quelquefois tendance à distancier le propos, à dilater la tension créée ici par le livret, mais avec d’éclatantes réussites aussi, notamment dans la scène de la folie d’Atys qui frappe Sangaride, magnifiquement traitée et dominée, avec la blessure figurée par un tissu rouge qui barre le ventre de Sangaride, c’est un des moments où l’osmose chant, corps, texte est sans doute la plus réussie et la mieux rendue.

Pour une raison qui me semble évidente : le texte est plus resserré, l’exigence dramatique plus forte, l’accélération des événements plus grande, et le spectateur à ce moment oublie chorégraphie chant et voix pour se plonger simplement dans le drame, avec la tension qui en découle. Superbe. Superbe également la sortie de Sangaride, dans une sorte de marche funèbre très rigide et bouleversante.

La dernière partie, suicide d’Atys et décision de Cybèle, est gouvernée par l’exigence de construire un final, et donc le tissu dramaturgique se relâche, la musique, sublime, se dilate aussi prend de la grandeur et du relief, on sent que c’est le moment suprême où les machines à transformation théâtrale louis quatorziennes faisaient spectacle : « les habits, les décorations, les machines, les danses y sont admirables » écrivait Saint Evremond qui visiblement n’aimait point le chant trop développé. Et dans les extraits donnés dans le programme de salle (toujours très bien fait), Madame de Sévigné s’attarde aussi sur les merveilles du spectacle, notamment le moment du songe, déjà un moment clé à la création.

Les scènes finales doivent donc se développer et « s’éterniser » pour permettre au spectateur d’en avoir plein les yeux.

Le spectacle de Genève n’est pas du tout « tape à l’œil », mais il contient des images, notamment les dernières qui sont particulièrement réussies, et c’est sans doute le moment où Prune Nourry se montre la plus créative. Elle crée la transformation du cadavre d’Atys, étendu, au fond au centre d’un monticule noir, et s’élève peu à peu un arbre et ses racines qui paraissent ressembler à un squelette d’humain, un arbre de vie et de mort : la légende parle de pin, un conifère qui va rester sans cesse vert (n’oublions pas que Cybèle est déesses des cycles du temps, qu’elle permet à Atys transformé en arbre de dépasser). Comme pour Apollon et Dafné, la transformation en végétal est en quelque sorte gage d’éternité : dramaturgiquement, le destin humain d’Atys est assez horrible (dans la légende il se mutile), mais la déesse « dea ex machina » le rend à une autre vie, métamorphosée, et éternelle. La joie est modérée dans la vision finale de Prune Nourry, qui montre la montée finale d’un squelette et donc d’une trace, d’une mémoire d’homme, mais la lenteur du procédé, les chœurs et les éclairages particulièrement soignés donnent à cette dernière scène sans aucun doute une force renouvelée, qu’on n’avait pas toujours vue dans quelques autres moments du spectacle. En ce final, c’est la scénographie, plus que la chorégraphie, qui marque le spectateur, un peu comme à la création en quelque sorte.

Au total, le spectacle est sans contexte vraiment digne d’intérêt, dans son effort marqué pour aller ailleurs, pour explorer d’autres possibilités, de chercher dans la modernité un autre type de représentation, qui ne soir pas actualisation au sens galvaudé du terme, mais adaptation à un autre contexte, en allant jusqu’au bout d’une tentative de mêler danse et chant, danse et théâtre. Pour ce premier pas dans l’opéra, c’est un coup assez réussi, même avec les réserves que j’ai pu exprimer çà et là, et d’ailleurs le succès du spectacle auprès du public présent en était la preuve. Les voies des émotions sont impénétrables, et j’ai été plus étonné, plus admiratif qu’ému, parce qu’il m’a manqué, notamment dans les moments de crise, quelque chose de plus, une tension dont la scène quelquefois éclaire le texte que je n’ai pas toujours trouvée, mais chapeau quand même pour le résultat d’ensemble et pour le pari remporté : tous les opéras « chorégraphiés » n’ont pas cette séduction, mais il est vrai qu’ici on avait une chorégraphie-opéra, pour laquelle il faut vraiment saluer le travail effectué par Angelin Preljocal avec le Ballet du Grand Théâtre de Genève, précis, net, très vivant : on connaît la tradition chorégraphique genevoise, et on en a ici une belle confirmation.

Leonardo Garcia Alarcón : grand architecte
Mais l’opéra, c’est un travail pluriel, et il faut ici saluer aussi le rôle éminent joué par Leonardo Garcia Alarcón dans les équilibres d’ensemble. On connaît la rigueur du chef et sa manière de tenir un ensemble avec la précision voulue et surtout une clarté et une lisibilité notables qui sont sa marque de fabrique avec son orchestre, La Cappella Mediterranea, qui officie en fosse. On peut quelquefois regretter un manque de « fantaisie » dans ses approches, un excès de rigueur et une trop grande « sagesse », il faut tout de même souligner qu’Atys se prête moins à la fantaisie que d’autres œuvres et Lully n’est pas Rameau… Alarcón a déjà travaillé avec un chorégraphe, en tout début de carrière, à Aix en Provence, dans une très poétique production d’Acis and Galatea de Haendel en plein air au Grand Saint Jean confiée à Saburo Teshigawara. Il est ici le véritable architecte du résultat final, car il doit gérer évidemment le chant, la musique et faire en sorte que les gestes et les mouvements chorégraphiques ne gênent pas la précision des attaques, ne cassent pas les rythmes musicaux et que les chanteurs puissent garder une certaine aisance malgré ce qui leur est demandé et notamment les nombreux mouvements et parcours sur la scène. Il est donc forcément partout, forcément à l’affût de chaque respiration et doit assurer le continuum. Songeons que certains metteurs en scène (mauvais) placent les chanteurs et les chœurs face au chef pour faciliter le travail, nous en sommes loin ici (et c’est tant mieux), mais c’est un défi pour le chef de maintenir une cohérence d’ensemble quand tout bouge et que les chanteurs sont souvent sollicités par des mouvements (il y a même des portés) qui pourraient affecter le rythme.

Grâce à sa rigueur et son autorité il a réussi à mener tout son monde sans encombre, avec une assurance, avec un soin des couleurs qu’il faut souligner. La situation, dans une salle peu conçue pour le baroque, dont l’acoustique de fosse n’est pas extraordinaire, exigeait une attention et une prudence notamment en ce soir de première, dont il s’est sorti avec cran, créant une véritable harmonie qui devrait aller en s’améliorant du point de vue du rendu sonore. D’ailleurs, la rambarde qui sépare la fosse de la salle a été supprimée à partir de la troisième ou quatrième représentation, revenant à la vraie tradition des opéras au XVIIIe où la fosse n’existait pas, et permettant au son non plus de rester prisonnier, mais de s’échapper de manière plus libre et plusieurs témoins ont pu souligner la différence notable de présence sonore de l’orchestre. Il reste qu’il faut saluer son travail, vraiment fondateur, et issu d’un dialogue à la fois serré et compréhensif avec Angelin Preljocaj, particulièrement sensible à l’œuvre : c’est un vrai produit d’une réflexion commune, et cela mérite d’être signalé.

Une distribution de bon niveau
Comme toujours, le chœur dirigé par Alan Woodbridge se sort admirablement de l’exercice, c’est une phalange de qualité et d’une rare régularité à chaque production. Il sait être à la fois lyrique, mais aussi intense et tendu. Belle prestation.

L’ensemble de la distribution répond très honorablement au défi. C’est une distribution plutôt jeune et qu’on suppose donc ouverte à une tentative rare par son côté très exigeant pour les chanteurs. L’ensemble est homogène, ce qui signifie qu’il n’y a aucun accident, mais qu’il n’y a pas non plus de voix d’exception. Pour le type de production à laquelle ce cast est confronté, c’est aussi une assurance.

Et cette homogénéité se lit d’abord bien sûr et comme souvent dans les petits rôles dont certains en assurent plusieurs, nous avons déjà signalé Nicholas Scott (Le Sommeil) et Valerio Contaldo (Morphée, Dieu du fleuve), vraiment intéressants, mais aussi Lore Binon (Mélisse, Flore, Divinité fontaine 1) et les deux remarquables membres du studio Michael Mofidian (Idas/Phobétor/Un songe funeste) à la voix bien timbrée et projetée, au phrasé impeccable (excellent français de l’ensemble de la distribution) qui vient d’être remarqué dans la Turandot de Rome dont tout le monde parle, et la jeune Gwendoline Blondeel (Doris, Iris, Divinité fontaine 2) à la voix délicate et claire, moins marquant, à la voix forte (trop ?) mais honorable Luigi De Donato (Le Fleuve Sangar, Le Temps).

Andreas Wolf est un Célénus au beau phrasé, à la voix de baryton-basse solide et puissante, mais sans avoir l’engagement expressif voulu : après tout, c’est un personnage mal aimé, et si on entend le dépit, on n’entend pas la souffrance et c’est dommage, au contraire de la Cybèle de Giuseppina Bridelli, engagée vocalement, qui sait bien colorer et qui interprète une Cybèle contrariée, amoureuse et jalouse, qui affirme son autorité avec l'énergie du désespoir.

C’est bien dominé, avec une belle présence  et une impeccable tenue en scène – on retiendra son entrée théâtrale à la fin du premier acte.

Belle présence aussi le la portugaise bien connue Ana Quintans, à la voix lyrique, au chant coloré, au timbre délicat qui convient parfaitement au rôle de Sangaride, elle aussi douée d’un excellent phrasé.

Matthew Newlin est Atys, c’est peut-être à lui qu’on demande le plus d’efforts dans la chorégraphie et il s’en sort avec tous les honneurs. En cette première, on salue le phrasé, la clarté de la diction, moins la couleur, mais on note surtout quelques problèmes de justesse dans les notes tenues sur le souffle et quelque instabilité dans le contrôle, dont on peut supposer que plus avant tout s’arrangera.

Il reste tout de même – et c’est une observation un peu incidente, que les distributions de Genève gagneraient à être un peu plus qu’ "homogènes", elles me semblent pour l’instant être un peu en deçà de ce qu’on pourrait attendre (sauf Guerre et Paix en début de saison). Et dans cet Atys, à Genève, on aurait peut-être pu interpeler des chanteurs francophones, même si l’équipe mise en place par Aviel Cahn est valeureuse, car vu la fortune du baroque en France, il y a un large marché vocal pour ce répertoire.

Enfin, il faut signaler un moment d’émotion forte, celui où Aviel Cahn en début de soirée a pris vigoureusement la parole pour dénoncer la situation de guerre à nos portes, mais surtout où très intelligemment, Leonardo Garcia Alarcón a fait interpréter par une partie de l’orchestre l’hymne ukrainien en couleur baroque qui a résonné fortement dans les cœurs de tous les spectateurs présents, et debout. On n’oubliera pas.

Atys pas comme les autres à Genève, Lully par Angelin Preljocaj

CJM ( ?) - Olyrix.com - 1 mars 2022

source: https://www.olyrix.com/articles/production/5514/atys-lully-quinault-geneve-oper…

 

Première mise en scène d’opéra signée par le chorégraphe Angelin Preljocaj, Atys de Lully fait ici figure d’OVNI, entre œuvre d’art contemporain et opéra, ré-inventant un langage des corps singulier. Une proposition soutenue par les forces de La Cappella Mediterranea et Leonardo García Alarcón :

Atys est encore associé aux images de la version donnée par William Christie et Jean-Marie Villégier en 1987, l’une des premières tentatives scéniques d’envergure pour faire renaître la tragédie lyrique française. Bien loin de cette proposition qui s’inspirait des sources historiques, Angelin Preljocaj et son équipe posent un regard faisant de l’œuvre une sorte de mythe universel, une fable sur l’amour, le destin et la nature, quitte à transformer le prologue original à la gloire de Louis XIV pour en faire un dialogue entre le Temps et Flore.

Abordant l’opéra sous l’angle de la danse, Angelin Preljocaj ne se contente pas de mettre des danseurs au milieu des chanteurs : il tente d’aller le plus loin possible dans le dialogue entre les deux langages. Les chanteurs se mettent donc à danser que ce soit avec des pas, de véritables chorégraphies ou simplement des gestes. À côté d’eux, les danseurs dédoublent les scènes de l’opéra, développant certains gestes ou au contraire apportant un contrepoint à ce qui est montré : comme par exemple ces doubles habillés en doré qui jouent le drame à côté des personnages, le chœur qui se dessine derrière Sangaride, Idas et Doris, ou encore les danseurs qui s’enroulent dans des cordes au fond de la scène (incarnation des liens amoureux qui enchaînent Atys et Sangaride au premier plan) : Preljocaj peut compter sur le Ballet du Grand Théâtre de Genève, investi et en grande forme.

Passée la surprise de voir les chanteurs se mettre à tourner sur eux-mêmes au milieu d’une phrase chantée, la grammaire gestuelle de Preljocaj se conjugue : de la danse de joie d’Atys au début, à cette figure hindoue aux multiples bras composée par Cybèle et Célénus, les propositions abondent au point de saturer par moments l’attention au détriment du texte, donnant paradoxalement l’impression d’un certain statisme alors même que les chanteurs s’agitent. En tirant les personnages du côté du mythe plutôt que de l’incarnation par les mots, les nuances du texte chanté ont tendance à disparaître et avec elles une partie de la richesse des personnages et de l’émotion.

Néanmoins, certains gestes ressortent tout à coup qui permettent de se rapprocher des personnages : c’est par exemple l’entrelacement des corps d’Atys et de Sangaride dans leur premier duo, le geste symbolique (pourtant très bref) que fait Atys de se couper les veines ou encore cette chorégraphie à la fois sensuelle et désespérée d’Atys pour faire taire Sangaride devant Cybèle. À ce compte, c’est sans doute la scène du songe d’Atys, la plus libérée des codes de la tragédie, qui reste en tête : que ce soit l’apparition des danseurs par les fentes du mur en forme d’arbre, les figures énigmatiques inventées par les costumes de Jeanne Vicérial ou encore la danse avec le corps inerte d’Atys.

L’esthétique générale est néanmoins austère : du noir, du blanc, du bleu dans les costumes et une lumière froide sur toute la scène. Le rideau s’ouvre sur un plateau nu avec au fond un haut mur de pierre imaginé par Prune Nourry, par les fentes duquel apparaissent les personnages, mur sans doute du temple où officie Atys, mur comme une image de l’enfermement des personnages dans leurs destinées, ou encore comme un élément minéral austère qui se transformera progressivement en végétal. Car les strates du mur s’envolent dans les cintres, les fissures deviennent des racines, avant que le mur ne disparaisse, remplacé par des branches d'arbres descendant du ciel, comme des cordes nouées entre elles, qui deviendront à la fin de l’opéra une figure humaine, plutôt inquiétante, sur laquelle est hissé le corps mort d’Atys et devant laquelle dansent des femmes en maillots blancs à capuche : un univers plutôt triste et angoissant, parfois impressionnant. Les costumes de Jeanne Vicérial apportent une strate supplémentaire d’images. L’artiste crée avec des éléments de notre quotidien (de grosses chaussures, des matières résolument modernes), d’autres tirés du No et d’un univers asiatique fantasmé et d’autres encore regardant vers l’univers de la science-fiction, comme ces figures aux coiffes blanches qui accueillent Cybèle. Les costumes les plus imaginatifs paraissent les plus accomplis (notamment en comparaison du survêtement gris d’Atys).

L’engagement de tous les chanteurs qui se coulent (selon leurs possibilités) dans la vision de Preljocaj est remarqué et salué. Matthew Newlin se donne tout entier pour incarner Atys, dansant avec un talent certain tout en jouant son rôle. L’engagement physique nécessaire pour la danse est peut-être à l’origine de sa fatigue vocale à la fin de la soirée. L’instrument semble pourtant sûr, bien projeté, homogène sur une tessiture qui n’est pas évidente, le timbre manquant cependant de lumière et de variété dans les couleurs.

En Sangaride, Ana Quintans donne une certaine grâce juvénile à son personnage, sans naïveté. La voix est sonore dès son arrivée, même si le medium grave est plus confidentiel. Le timbre en est agréable et coloré, néanmoins le chant manque un peu de nuance, et la soprano a une tendance réitérée à pousser son instrument avec des sons aplanis.

Dès son arrivée, Giuseppina Bridelli impressionne en dansant une chorégraphie difficile tout en déclamant les vers de Quinault. Cybèle est probablement le personnage le plus ambigu de la tragédie, cherchant à être aimée plus que respectée puis se vengeant avec cruauté. La chanteuse tire le personnage du côté de la séduction plus que de la majesté, mais la voix est sûre et bien conduite (malgré un timbre un peu nasal).

Andreas Wolf complète la chaîne amoureuse en Célénus, avec une présence juste, sobre et une voix séduisante au vibrato un peu serré et au timbre profond. En fleuve Sangar, Luigi de Donato a une autorité naturelle de par son émission (un peu violente même) qui convient plutôt au personnage.

Du côté des ténors, Nicholas Scott possède un timbre léger et souple, qui lui permet de se couler dans les lignes du Sommeil en contraste avec le chant plus lyrique et d’un style plus italien de José Pazos en Phantase et la voix sombre et bien conduite de Valerio Contaldo en Morphée.

Michael Mofidian (Idas / Phobétor) donne un charme particulier à la scène du sommeil d’Atys par son timbre profond et noir, son legato et sa longueur de souffle, apportant une noblesse à ses quelques phrases. Lore Binon possède une présence intéressante en Mélisse, un peu timide et en même temps touchante dans ses mouvements pour consoler sa maîtresse. La voix elle-même est claire, maîtrisée quoiqu’un peu confidentielle. Enfin, Gwendoline Blondeel donne de l’énergie à ses incarnations avec une voix légère mais qui possède un certain tranchant.

La Cappella Mediterranea est en harmonie avec l’austérité scénique : l’orchestre sonne un peu maigre dans la salle du Grand Théâtre malgré une couleur générale agréable, l’intonation des flûtes étant par moments délicate. Leonardo García Alarcón est pourtant attentif à faire dialoguer le plateau et la fosse, donnant même des indications aux danseurs.

Cette lecture d’Atys ne laisse en tout cas pas indifférent, comme en témoigne le contraste entre des fauteuils laissés vides à l’entracte, et le public debout pour applaudir le spectacle.

La nouvelle référence pour Atys

Charles Sigel – Forum Opera - 1 mars 2022

source: https://www.forumopera.com/atys-geneve-la-nouvelle-reference-pour-atys

 

Une soirée parfaite, comme il y en a peu à l’opéra. Grâce à l’entente évidente, visible, audible entre un chef et un metteur en scène-chorégraphe. Idée lumineuse de les avoir amenés à créer ensemble, eux qui ne se connaissaient pas auparavant.
Après l’inoubliable réussite de l’Atys dans la version Christie/Villégier en 1987, reprise et de façon peut-être encore plus belle en 2011, lecture historiciste (décors Grand Siècle de Carlo Tommasi, costumes de Patrice Cauchetier, chorégraphie Francine Lancelot), vision qui à son époque représentait la modernité parce qu’en rupture avec ce qui faisait alors communément, il fallait inventer autre chose.
C’est en somme une tragédie-ballet que proposent à Genève (et bientôt à l’Opéra royal de Versailles) Leonardo García Alarcón et Angelin Preljocaj. Non pas une tragédie lyrique entrecoupée de divertissements dansés, mais une imbrication continue du chant et de la danse. A tel point que les chanteurs dansent (et même parfois le chœur aussi).
Nous disions chant, il vaudrait mieux dire théâtre chanté-dansé. Mais reprenons au début.

Mycènes et un Japon imaginaire

Atys aime Sangaride, mais Sangaride doit épouser Célénus, roi de Phrygie. Or Atys est aimé de la déesse Cybèle (dont il est le prêtre). La déesse va faire en sorte qu’Atys tue Sangaride. Ce qu’elle n’avait pas prévu, c’est qu’il en mourrait de désespoir. Fatalité de l’amour et perfidie des Dieux, c’est une tragédie en cela que les humains (mais les Dieux aussi) sont les jouets d’un destin plus puissant qu’eux.
Le premier décor représente une muraille digne de Mycènes, appareil de pierres énormes que traversent des lézardes (le thème visuel de la lézarde reviendra souvent). Devant ce mur imposant qui fait penser aux tragiques grecs, apparaissent bien vite (car l’ennuyeux et réglementaire prologue a été supprimé et on en est d’emblée soulagé) des silhouettes en noir de, comment dire ? samouraïs-prêtres-acteurs de Nō, longues jupes et cuirasses assez sexy, grandes lances noires, tandis qu’Atys affirme à son confident Idas qu’il « aime l’heureuse paix des cours indifférents ».

Le cérémonial des sentiments

On insiste ici sur la présence du décor et la surprise des costumes, venus d’un Japon fantasmé, digne des films de Kurosawa, tant l’aspect visuel est saisissant. Visions de plasticiens, aussi bien les décors de Prune Nourry que les costumes de Jeanne Vicérial. Les danseurs (magnifique Ballet du Grand Théâtre de Genève) seront constamment en scène, dans des tenues parfois japonisantes, parfois dans des voiles et des tuniques évoquant Epidaure ou Olympie, et souvent dans des justaucorps noirs androgynes, jambes et bras nus. La sensualité est très présente et un érotisme chastement diffus.
Le noir et le blanc dialoguent partout, et d’ailleurs plutôt l’écru que le blanc, avec parfois un gris léger (les tuniques de voile).
De drôles de petits chapeaux, dignes de prêtres shinto, des mouvements de groupes unisexes en justaucorps, des silhouettes agenouillées de profil comme sur un bas-relief égyptien, des défilés du chœur qui évoquent des moines zen dessinés par Hokusai, et surtout la construction d’un espace, jeu entre le plein et le vide, tout participe de la création d’un cérémonial des sentiments, majestueux et dépouillé, teinté de sacré.

Une émotion qui saisit

Raffinement, élégance. Tout vise à l’émotion. Beaucoup d’intériorité. C’est du drame vécu par Atys qu’il s’agit. Matthew Newlin l’incarne avec un je ne sais quoi d’affirmé et de fragile en même temps. Dans une tenue grise et noire qui évoque le novice d’un temple, il dit son texte autant qu’il le chante (mention particulière pour son français impeccable, lui qui n’est pas né francophone, et on en dirait d’ailleurs tout autant de l’ensemble de la distribution), on admire la manière dont il le projette, et sa voix un peu âpre ajoute à l’évocation d’un personnage éperdu, pris dans les pièges que lui tend la déesse. Sa prestation physique est assez prodigieuse, il danse en même temps qu’il chante, et habite la scène de sa haute silhouette, avec ce crâne dégarni qui ajoute à son dénuement. Aux saluts, on le verra soulever de terre et embrasser avec effusion Angelin Preljocaj, image saisissante suggérant à quel point le chorégraphe l’aura révélé à lui-même.

Danser sa vie

Il n’est pas le seul à danser ses sentiments. Tous y sont amenés, certains avec une aisance remarquable, notamment Giuseppina Bridelli, qui dessine une Cybèle perfide à souhait, mezzo ou soprano dramatique, vocalement très convaincante dans la tessiture du rôle et imposant dans l’espace un personnage acide auquel on croit. Particulièrement beau, son lamento « Espoir, si cher et si doux » au troisième acte, qui semble préfigurer le « Cruelle mère des amours » que chantera la Phèdre de Rameau.
Ana Quintans, sensible Sangaride, aux notes hautes brillantes, semble parfois moins à l'aise avec les graves (le rôle est peut-être un peu bas), mais elle dessine tout en finesse un personnage pris au piège de la fatalité. Quoi de plus beau que son duo avec Atys au quatrième acte, scène de dépit amoureux portée par les mots de Philippe Quinault, grand expert du cœur humain (« Vous m’aimez, je le crois, j’en veux être certaine, je le souhaite assez pour le croire sans peine »), tandis que les mouvements de leurs âmes sont exprimés par le ballet aérien de deux couples de danseurs au fond du théâtre.
Les rôles secondaires ne sont pas moins brillamment tenus : il faudrait tous les nommer mais on remarquera notamment le beau timbre de baryton de Célénus, son vibrato troublant et ses beaux graves (Andreas Wolf) et le ravissant soprano, très fin, de Lore Binon (la suivante Mélisse) et son agile ligne de chant.

L’essence même de l’esprit baroque

On le sait, le spectacle créé au château de Saint-Germain en 1676, et somptueusement monté par Lully, homme de cour autant qu’homme de théâtre, entrecroisait la tragédie lyrique (c’était en somme l’invention du genre) et des divertissements (chœur des Nations, danses des Zéphyrs, ou des divinités des fontaines et des ruisseaux, etc.), tout un apparat interrompant le déroulé du drame. Rien de tel ici. Leonardo García Alarcón n’a pas hésité à faire des coupes drastiques, en somme pour créer quelque chose de profondément baroque : tout s’entremêle, la musique, le théâtre et la danse, et les danseurs souvent sont amenés à traduire par la posture et le mouvement les sentiments qu’expriment (tout en dansant eux-mêmes) les acteurs-chanteurs, et dans ce système de doublage il est assez touchant de voir les mêmes gestes en somme poussés à leur terme par les danseurs, qui réalisent à la perfection des portés que les chanteurs esquissent avec une maladresse qui concourt à l’émotion.

Voluptés sonores

Il est rare d’avoir autant l’impression de voir une troupe d’artistes, non seulement les chanteurs-acteurs, les danseurs, le chœur (comme toujours excellent à Genève, imposant quand il apparait voilé, et à l’occasion entraîné lui aussi dans la danse, mais surtout d’une rondeur, d’une plénitude sonore, d’un équilibre luxueux), mais aussi l’orchestre.
Le son de la Cappella Mediterranea (placée très haut dans la fosse d’orchestre et non pas enfouie dans les profondeurs) est d’un velours extraordinaire, très appuyé sur les cordes basses. Un tapis sensible vibrant, d’une somptueuse onctuosité.
Très souvent, le chant dans Atys procède d’un recitar cantando. Selon le témoignage de Le Cerf de La Viéville, Lully « allait se former sur les tons de la Champmeslé », illustre interprète de Racine. Cette prosodie est ici soutenue par un continuo aux couleurs fauves, violes de gambe, violoncelles, contrebasse, théorbes, basson et clavecin, d’une opulence voluptueuse.
Ces couleurs orchestrales si sensuelles, on les entend, ô combien ! dans l’un des plus beaux passages, l’épisode au troisième acte du Songe d’Atys (stratagème de cette peste de Cybèle pour entrer dans ses pensées) où le temps semble se suspendre, et même s’arrêter. On sent – elle en devient physiquement palpable – la parfaite unité de pensée, de sensibilité, entre Leonardo García Alarcón et Angelin Preljocaj.

L’arbre de vie

L’image finale sera d’une saisissante beauté : après qu’Atys aura clamé son désespoir d’avoir dans sa folie fait périr Sangaride (et Matthew Newlin aura été impressionnant de puissance et de vérité), après qu’il se sera donné la mort (ce qui est inouï dans le contexte de l’art classique), il sera transmué en arbre (un pin) par Cybèle. Et l’on verra monter dans les hauteurs des cintres cet arbre, création de Prune Nourry, un arbre évoquant ces écorchés de Raimondo de Sangro ou d’Honoré Fragonard où ne se voient plus que les veines en réseau ou les nerfs du corps humain, symboles glaçants de la fragilité qui est la nôtre.

L'hymne d'Ukraine

Le soir de la première, après un speech du directeur du GTG, Aviel Cahn, très juste de ton, rappelant que les mondes de la culture et du spectacle ne sont pas indifférents aux malheurs des hommes et aux secousses de l’histoire, mais que bien au contraire ils les expriment, on put entendre l’hymne ukrainien subtilement arrangé par Leonardo García Alarcón pour son orchestre baroque. Toute la salle se leva et ce fut un moment de profonde émotion, musicalement très belle d’ailleurs, mais l’essentiel n’était pas là, plutôt dans la solidarité teintée d’effroi et de compassion qu’elle exprimait.

«Atys», une tragédie menée au pas de danse

Rocco Zacheo – Tribune de Genève - 28.02.2022

source: https://www.tdg.ch/atys-une-tragedie-menee-au-pas-de-danse-390481149703

 

Le Grand Théâtre présente une production marquée par les chorégraphies épurées d’Angelin Preljocaj et par la luxuriance orchestrale de la Cappella Mediterranea.

Par temps belliqueux comme ceux qui nous tenaillent désormais, entrer dans une salle de spectacle pour y trouver de la distraction pourrait relever, au mieux, de l’insensibilité ou, au pire, du geste indécent. C’est ainsi que, pour se départir probablement de toute forme d’équivoque, le directeur du Grand Théâtre, Aviel Cahn, est monté sur scène, micro à la main, dimanche soir, à quelques minutes de la première d’«Atys», pour se prononcer sur le conflit opposant Russie et Ukraine. Le silence étant complice de ceux qui commettent des actes malveillants, le chef de la maison lyrique s’est senti en devoir de condamner l’agression russe et de dénoncer les agissements du «régime criminel installé au Kremlin.» S’en est suivi, dans la foulée, un arrangement de l’hymne ukrainien, livré depuis la fosse et suivi debout, avec émotion, par la quasi-totalité des spectateurs.

Un diamant dans la fosse

Au lever de rideau, une absurde tragédie a laissé la place à une autre, créée celle-ci en 1676 par Jean-Baptiste Lully. Une œuvre où le happy end déserte le livret et fait cheminer passions amoureuses et protagonistes vers le tombeau. «Atys», c’est cela, une pièce en cinq actes où le schéma dramaturgique somme toute assez classique repose sur un carré de femmes et d’hommes, sur leurs aspirations contrariées et, au final, sur une révolte face au destin qui aboutit au trépas. Atys aime en secret Sangaride, qui est promise au roi Célénus, roi de Phrygie. La puissante déesse Cybèle est elle aussi amoureuse de son prêtre… Atys. Les rivalités, les pulsions et les révélations successives pousseront l’intrigue vers le dénouement violent. Le carré intenable est alors cassé. Le rideau peut se baisser.
Accueilli en son temps par un succès foudroyant et durable, ce bijou de la tragédie à la française est passé par un long oubli. Ce n’est qu’en 1987 que la pièce a retrouvé ses éclats, dans une version mémorable signée par William Christie et ses Arts florissants. La nouvelle production présentée par le Grand Théâtre marque elle aussi les esprits. Son premier atout, un diamant pur aux éclats constants, vient de la fosse, où la Cappella Mediterranea et son chef, Leonardo García Alarcón, ont déployé leur art avec une virtuosité et un engagement rares. Menée par la gestique généreuse et le regard conquérant du chef argentin, la formation a été confondante de sensualité et de justesse, avec ses archets aux phrasés ciselés, son continuo homogène et infaillible et ses vents parfaitement à l’équilibre. Il y a eu là, dans ces trois heures et plus de musique maîtrisée, tous les goûts d’une partition aux traits luxuriants, aux détails harmoniques qui ne cessent de surprendre.

Émulsion des genres

À peine plus haut, sur la scène, un tout autre monde s’est offert aux spectateurs. Il a les lignes sobres, voire arides, imaginées par la plasticienne et sculptrice Prune Nourry. Pour sa première incursion dans le monde de l’opéra, la Française a plongé l’intrigue dans un espace investi avec parcimonie, du moins pour les deux tiers de la production. D’imposants murs, alignés les uns derrière les autres, servant de fond à un plateau livré dans toute sa nudité à la distribution. Ici, la signature du chorégraphe Angelin Preljocaj s’est affirmée dans toute son élégance, avec un geste qui déborde largement les membres du ballet du Grand Théâtre. De sorte qu’on a assisté, dans sa mise en scène, à une interpénétration des genres, à une émulsion saisissante entre chanteurs et danseurs, les premiers esquissant ou répétant ici et là les mouvements des seconds. Cette cohabitation cohérente et à l’esthétique remarquablement soignée – les costumes de Jeanne Vicérial y contribuent grandement – constitue l’autre grand atout de la production.
Le plateau vocal, enfin, se déploie dans une belle homogénéité, où brille tout particulièrement Matthew Newlin dans un rôle-titre solide et engagé. À sa voix généreuse et parfois un peu forcée dans le forte, fait écho celle, riche dans les inflexions et les ornementations, d’Ana Quintans, brillante Sangaride. Giuseppina Bridelli est une Cybèle tout aussi convaincante, dans un timbre moins lumineux. À leurs côtés, le Chœur du Grand Théâtre impressionne par sa puissance et sa précision. Il contribue, avec les rôles secondaires, au triomphe qu’a connu la production à l’heure des saluts.

À Genève, Atys, un rêve d’Angelin Prejlocaj

Jacques Schmitt – ResMusica.com – 2 mars 2022

source: https://www.resmusica.com/2022/03/02/a-geneve-atys-un-reve-dangelin-prejlocaj/

 

Magnifique spectacle et belle réussite scénique du chorégraphe Angelin Prejlocal, de sa décoratrice Prune Nourry et de sa costumière Jeanne Vicéral pour cet Atys de Jean-Baptiste Lully au Grand Théâtre de Genève.

En 1676, à l’issue des représentations de Atys au château de Saint-Germain-en-Laye où résidait Louis XIV avant qu’il intègre « son » Versailles, le critique et moraliste libertin (tiens ! on pouvait donc être l’un et l’autre ?) Charles de Saint-Évremond (1614-1703) parlait ainsi du spectacle de Jean Baptiste Lully : « Les habits, les décorations, les machines, les danses y sont admirables. La Descente de Cybèle est un chef-d’œuvre ; le Sommeil y règne avec tous les charmes d’un Enchanteur. Il y a quelques endroits de récitatifs parfaitement beaux et des scènes entières d’une musique fort galante et fort agréable. A tout prendre Atys y a été trouvé le plus beau ; mais c’est là qu’on a commencé à connaître l’ennui que donne un chant continu trop longtemps. ». Près de 350 ans après cette première, on pourrait, presque mot pour mot, reprendre ceux du critique de l’époque pour qualifier cette représentation genevoise.

Un coup de maître pour la première mise en scène d’opéra du chorégraphe Angelin Prejlocaj. On pouvait bien imaginer qu’un maître de ballet, soucieux d’harmonie et de beauté, n’allait pas se laisser aller dans une présentation caricaturale d’une histoire d’amour. Dans le prologue pourtant, avec les protagonistes et le chœur vêtus d’habits actuels, on peut craindre une transposition malheureuse. Mais, bien vite, l’opéra avec son rêve scénique, son charme suranné et merveilleux reprend ses droits. Et c’est à un spectacle enchanteur sans mièvrerie auquel Angelin Prejlocaj nous convie. Avec l’idée maîtresse d’associer ses chorégraphies si personnelles au déroulement de l’action, la vision scénique de prime abord déroutante bientôt conquiert l’espace scénique pour nous emporter dans un spectacle d’une grande qualité esthétique. Les chanteurs, respectant en grande partie les codes gestuels d’expression du chant baroque, se voient doublés à l’identique par les danseurs. Peu à peu, on assiste à un échange de gestes tantôt inspirés par les chanteurs, tantôt par les danseurs. Le tout en parfaite harmonie avec les mots du livret. D’éloignés de l’action du début, les danseurs se rapprochent insensiblement des chanteurs pour qu’en fin de spectacle, leur présence prenne part entière au drame. Que tout cela est beau, pensé, intelligent et inspirant.

Le décor d’un impressionnant mur de blocs de pierres blanches percé de quelques fissures desquelles sortent des danseurs est d’une beauté hiératique impressionnante. Plus tard, d’immenses racines faites de cordes tressées descendant des cintres préfigurent celles en forme de squelette humain illustrant la dépouille d’Atys que Cybèle, victime expiatoire de sa jalousie, aura transformée en pin. Couronnant cette communion de beauté simple, les costumes (Jeanne Vicérial) aux tissus raffinés et aux drapés superbement travaillés complètent le tableau subtil de cette production.

A grands traits l’intrigue d’Atys est simple. Ne pouvant affirmer son amour à Sangaride, puisque promise au mariage avec Célénus, roi de Phrygie, Atys feint l’indifférence. Invitée aux noces royales, la déesse Cybèle aime Atys mais elle découvre son amour pour Sangaride. Elle ensorcelle le jeune homme au point de l’amener à tuer Sangaride. Conscient de son geste, Atys meurt de désespoir laissant Cybèle à son tour désespérée d’avoir perdu Atys à jamais.

Dans cet immense poème d’amour, le temps long des déclarations amoureuses force la musique et les mouvements à s’étendre dans une ambiance langoureuse. L’occasion d’apprécier les qualités du corps de ballet du Grand Théâtre de Genève. Quelle maîtrise de l’espace, du mouvement, de l’autre comme de soi-même. La précision des ensembles est époustouflante, les attitudes, les déplacements, tout cela est d’une minutie renversante, d’une grâce extrême et d’une très grande expressivité.

Sur le plateau, la distribution vocale est d’un excellent niveau. Certes, le chant baroque français impose un style déclamatoire très particulier. Sorte de parlé-chanté (à moins que ce soit le contraire !), l’entendre pendant près de trois heures lasse l’auditeur peu habitué à cette expression vocale. Reste que chacun se plie avec talent à cet impératif vocal. La voix blanche du ténor rôle-titre Mattew Newlin (Atys) convient idéalement au personnage faussement indifférent qu’il incarne avec beaucoup de présence. A ses côtés, la soprano Ana Quintans (Sangaride) est tout aussi contenue quoique plus colorée vocalement que son compère. Plus typée vocalement cependant, la mezzo-soprano Giuseppina Bridelli (Cybèle) impose un personnage de caractère et d’autorité céleste remarquable. Son entrée sur scène, le mur de pierres monumentales s’ouvrant lentement laissant apparaître cette invitée envoyée des dieux, est une image d’une beauté extrême. Parmi les autres rôles, on ne peut passer sous silence le baryton-basse Michael Mofidian (Idas/Phobétor/Un songe funeste) dont la voix profonde chargée d’harmoniques, timbrée à souhait, parfaitement conduite, la diction impeccable rappelle, dans un tout autre registre, l’admirable Samuel Ramey dont les murs de l’institution lyrique genevoise vibrent encore d’un souvenir vivace. Des autres chanteurs, tous par ailleurs très bons, on retiendra la voix charmante de la soprano Lore Binon (Mélisse) et la puissance vocale doublée de l’excellence de la prononciation du baryton-basse Andreas Wolf (Célénus). Le Chœur du Grand Théâtre de Genève est, comme à son habitude très en forme, malgré deux légers décalages d’avec l’orchestre.

Une très légère déception vient étonnamment de la fosse où la Cappella Mediterranea sous la direction de Leonardo García Alarcón, pourtant rompu à cet exercice de style, nous est apparu terne, sans grandes couleurs et manquant sensiblement de dynamisme. A leur décharge cependant, il est certain que l’acoustique du Grand Théâtre de Genève et la grandeur de la salle ne conviennent que relativement à un orchestre typiquement baroque comme celui-ci. La souplesse de direction du chef contraste défavorablement dans cet environnement avec d’autres chefs de ce même répertoire.

Malgré la lenteur, la longueur de cette œuvre, parfois littéralement monotone, l’orchestre, la scène, les costumes, les danses, les chanteurs, tout était très beau. Avec cette production le Grand Théâtre de Genève retrouve l’esprit qui l’a toujours habité : celui de l’opéra, comme un rêve, une évasion de l’esprit, un spectacle grandiose, un enchantement. Il aura fallu une belle dose de courage artistique pour présenter aujourd’hui Atys de Jean-Baptiste Lully, un opéra créé voici près de 350 ans, qu’une seule, rare et fastueuse reprise avait marqué la scène lyrique française en 1987. Et, il aura fallu de l’audace pour demander à un chorégraphe d’en être le nouveau metteur en scène. Et du talent à revendre pour revisiter avec tant d’esprit, de goût cette œuvre du passé et de savoir-faire pour en construire un spectacle aussi abouti. Moderne sans vulgarité. Respectueux sans emphase. Du grand art!

Avant les premiers accords de ce spectacle, Aviel Cahn, le directeur du Grand Théâtre de Genève est monté sur scène pour faire une déclaration publique sur les évènements qui secouent les pensées de chacun. Sa prise de position politique contre Vladimir Poutine apparaît discutable à quelques personnes du public qui ne manquent pas de l’exprimer bruyamment. Cette colère passagère et épidermique s’apaisera quand, sous l’impulsion de son chef, l’orchestre jouera une transcription de l’hymne national ukrainien devant une salle respectueusement debout.

Atys, dans l’intimité chorégraphique à Genève

Gilles Charlassier – PremièreLoge.com - 1 mars 2022

source: https://www.premiereloge-opera.com/article/compte-rendu/production/2022/03/01/a…

 

La tragédie lyrique Atys de Lully est un symbole à plus d’un titre. Opéra préféré de Louis XIV, selon les mémorialistes, il inaugura un tournant esthétique dans le genre lyrique en France, avec le renoncement à un lieto finale pour une conclusion tragique. C’est également l’ouvrage fétiche du retour en grâce du Baroque sur les scènes, dans la légendaire résurrection de Jean-Marie Villégier, dirigée par William Christie en 1986, avec, entre autres, une reconstitution de la partie dansée sous l’impulsion de Francine Lancelot. Si la tendance à confier certaines productions d’opéra à des chorégraphes se confirme ces dernières années, Atys constitue certainement un opus de choix, tant la part dramatique de la gestuelle corporelle s’y révèle importante, même si les « divertissements » sont moins développés que dans les œuvres ultérieures.

Angelin Preljocaj, qui signe là son premier spectacle lyrique, l’a parfaitement compris, utilisant son vocabulaire reconnaissable pour dupliquer la déclamation, jusque dans le jeu des chanteurs. Les effets d’échos ne se limitent pas à un simple dédoublement du soliste par un seul danseur. Certaines séquences multiplient les présences chorégraphiques derrière le chant. La virtuosité et, parfois, l’énergie du geste, n’oublient jamais une intense expressivité, investie admirablement par le Ballet du Grand-Théâtre de Genève, même si le procédé peut parfois se faire sentir sur la durée, sans toutefois se laisser piéger dans un systématisme que l’on pouvait deviner dans le Cosi fan tutte revu par Anna Teresa De Keersmaker – où l’intention combinatoire est certes tout autre.

À rebours de lectures qui laissent davantage de place aux fastes, le propos est ici recentré sur l’intimité du drame des amours contrariées, dans une épure classique plus proche des anti-lieux raciniens que des pittoresques baroques. La scénographie décantée de Prune Nourry, en  noir et blanc, sous les modulations lumineuses d’Eric Soyer qui prennent à l’occasion des bleutés oniriques galbant l’espace avec une évidente sensibilité, contribue à cette austérité, prégnante surtout dans les deux premiers actes, que ne précéde qu’un réarrangement par Leonardo Garcia Alarcon d’un extrait du Prologue, entre le Temps et Flore, « Les voilà ces humains », et de l’Ouverture. Au III, la pierre blanche jérusalémite se creuse de branches et de racines, dans de très belles nervures développant la métaphore de l’arbre, devenir d’Atys, jusque dans l’ultime scène, où à un arbre de cordes pastichant quelque Homme de Vitruve remontant vers les cintres est suspendu le corps défunt. Les variations calotines des costumes dessinés par Jeanne Vicérial participent de la réduction des rituels de Cybèle à leur quintessence dramaturgique.

Cette sobriété est évidemment relayée par les choix musicaux de Leonardo Garcia Alarcon et ses musiciens de Cappella Mediterranea – dont les effectifs choraux sont renforcés par ceux du Chœur du Grand-Théâtre de Genève. Son approche du récit et du continuo, ramenés parfois à leur format le plus intime, contraste avec le foisonnement que l’on connaît du chef argentin dans d’autres répertoires. Plutôt que la verticalité iconique associée à la pompe versaillaise – qui pourtant n’est pas la seule identité esthétique de l’art à la cour du Roi Soleil –, il choisit de renouer les liens originels de la prosodie lulliste avec celle de l’opéra de son pays de naissance, l’Italie. Le long duo entre Sangaride et Atys, à l’acte I scène VI, fait valoir une évidente filiation avec l’écriture de Cavalli. Les couleurs ne manquent pas pour autant, comme dans les chatoiements de la scène du Sommeil, mais ne se laisse jamais aller à la gratuité. Et la graduation du chœur final, « Que le malheur d’Atys afflige tout le monde », témoigne d’une intelligence à fleur de peau de la dynamique expressive.

Dans le rôle-titre, Mathew Newlin condense sans doute les primats herméneutiques du spectacle. Si le timbre du ténor américain n’est pas sans menues ingratitudes, son élan déclamatoire, d’une constance sans faille au fil d’une incarnation au demeurant exigeante, impose une présence souveraine dans les méandres des failles affectives du personnage, qui s’affirme également dans une performance corporelle exceptionnelle chez un chanteur. En Cybèle, Giuseppina Bridelli privilégie la couleur d’un mezzo à l’intonation sombre, façonnant une autorité mêlée d’une acuité certaine de la sensibilité. Plus que le rayonnement vocal, circonscrit à sa typologie, c’est l’évolution et les ressacs du sentiment qui retiennent l’attention, et que l’on retrouve dans l’incarnation de Sangaride par Ana Quintans, dont l’antagonisme s’entend d’abord dans la naturelle clarté d’une ligne, qui s’oppose à l’émission plus charnue de sa rivale.

Du reste de la distribution  autour de ce funeste triangle amoureux, on retiendra le Célénus solide d’Andreas Wolf, dont la densité du grain se rapproche de celle de Michael Mofidian, successivement Idas, Phobétor et un songe funeste, chez lequel l’impact du baryton-basse n’évite pas toujours le masque nasal. Gwendoline Blondeel distille une séduction non exempte de fraîcheur en Doris, Iris et Divinité fontaine que l’on reconnaît dans son appariement confié à Lore Binon, par ailleurs Mélisse, et Flore dans le Prologue, dans lequel on apprécie le Temps robuste de Luigi de Donato, qui revient en Fleuve Sangar, le père de Sangaride aux calculs matrimoniaux indifférents au cœur de sa fille. On saluera les interventions de Nicolas Scott, dans la scène du Sommeil, aux côtés d’un deuxième ténor, Valerio Contaldo, Morphée et Dieu du Fleuve, quand le troisième du plateau, José Pazos, s’acquitte des répliques de Phantase.

Un Atys d’une belle cohérence, qui surprend les attentes – et, musicalement, sinon dans l’esprit de la relecture chorégraphique et scénographique, regarde sans doute davantage vers les racines de la tragédie lyrique, que vers son devenir. La récréation contemporaine ne cesse de se nourrir de sources historiques.

Le destin funeste d’Atys enchante le GTG

Cécile dalla Torre – Le Courrier - 2 mars 2022

source: https://lecourrier.ch/2022/03/02/LE-DESTIN-FUNESTE-DATYS-ENCHANTE-LE-GTG/

 

Dans une nature sobre et sombre, Atys, mis en scène et chorégraphié par Angelin Preljocaj au Grand Théâtre de Genève, plonge dans les abîmes du drame amoureux.

C’est par une prise de parole du maestro suisso-argentin Leonardo García Alarcón qu’a démarré la représentation de mardi soir au Grand Théâtre de Genève. Dimanche, lors de la première, le directeur, Aviel Cahn, s’était déjà positionné contre la guerre en Ukraine.

La quarantaine de musicien.nes de l’ensemble Cappella Mediterranea a ensuite livré son interprétation, particulièrement émouvante, d’un arrangement baroque de l’hymne national ukrainien.

De fait, la tragédie lyrique de Lully, poétisée par son librettiste Philippe Quinault, lui-même inspiré par Ovide, se prête à une ambiance sombre, et même funèbre, d’autant qu’il est d’emblée écrit qu’Atys (Matthew Newlin, ténor) sera condamné. Et c’est d’ailleurs sur scène que mourra ce héros sensible, transformé en arbre sacré – la décoratrice Prune Nourry lui sculpte des branches d’un baobab millénaire – par la déesse Cybèle (Giuseppina Bridelli, mezzo-soprano), prête à tout pour obtenir son amour.

Cette reine des dieux n’a d’égale dans le royaume des humains que le pouvoir royal, et sa descente sur Terre depuis son temple minéral et magistral est tout simplement grandiose.

Dans cette œuvre créée pour Louis XIV en 1676, à laquelle s’ajoute du ballet, rien ne peut toutefois contrer la destinée des amants Atys et Sangaride (Ana Quintans, soprano), uni.es depuis leur jeunesse par un amour éternel semblable à celui que se vouaient Roméo et Juliette. Ici, Atys percera lui-même le cœur de sa bien-aimée, dont la mort est métaphorisée par des fleurs rouges à la place du cœur, dans le costume de la styliste Jeanne Vicerial.

Si les solistes et les chœurs affichent une grande maîtrise vocale, tout en interprétant avec justesse le mouvement chorégraphié par Angelin Preljocaj, on regrettera que la partition des danseurs et danseuses du Grand Théâtre compose un relief parfois (trop) dense, combinant avec une technique sans faille les influences du No, du néoclassique et d’une grammaire contemporaine.

Le pari d’Aviel Cahn de marier des talents contemporains de manière inédite et de faire bouger des lignes opératiques solides et stables avec audace est, quoi qu’il en soit, à saluer. A raison, il a convié pour la première fois à Genève l’auteur du Parc (1994) et son désormais célèbre pas de deux revisité avec sensualité, un moment d’anthologie.

L’artiste français né de parents réfugié.es albanais, à la tête du centre chorégraphique d’Aix-en-Provence, n’a cessé d’ouvrir des brèches et figure parmi les plus exigeants et novateurs de sa génération.

Avec Le Parc, Angelin Preljocaj faisait sa première incursion à l’Opéra de Paris il y a près de trente ans dans une chorégraphie sublime et romantique. Ici, la veine dramatique de cet Atys sombre, minéral et magnifiquement austère, a été chaleureusement applaudie par le public. A juste distance des perruques et corsets du temps de Lully, et de la version d’Atys mis en scène par Jean-Marie Villégier, sous l’extraordinaire baguette de William Christie (en 1987), cette version contemporaine se distingue par le formalisme et la rigueur de sa mise en scène. Il n’empêche que le Grand Théâtre a bâti sa saison autour du thème de l’amour et que cette œuvre pourrait bien être parmi les plus emblématiques.

La danse des ombres

David Verdier – Altamusica.com – 3 mars 2022

source: http://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=6902…

 

Trente ans après l'iconique production Villégier, Atys revient sur une scène lyrique au Grand Théâtre de Genève, avant une reprise toute prochaine à Versailles. La tragédie lyrique de Lully bénéficie d'une mise en scène réglée par le chorégraphe Angelin Preljocaj, avec des décors de Prune Nourry et les sculptures vestimentaires de Jeanne Vicérial.

L'ensemble dégage une impression immédiate d'œuvre d'art total, fruit d'une collaboration entre des formes artistiques pas forcément éloignées, mais dont la complémentarité peine parfois à s'exprimer dans un résultat cohérent. Le matériel chorégraphique de Preljocaj est abondant et souvent envahissant, au point de créer un halo continu de gestes et qui double les mouvements des chanteurs dans un jeu d'échos qui parfois se neutralise.

On se souvient à ce propos du Così fan tutte mis en scène à Garnier par Anna de Keersmaeker – entreprise incomplète et mitigée, principalement en raison du parasitage d'idées scéniques entre danse et chant. Angelin Preljocaj demande aux chanteurs des pas de danse et des portés qui laissent percevoir sur la durée l'écart technique qui les sépare des vrais danseurs du Ballet du Grand Théâtre de Genève.

En métamorphosant Atys en ballet, la mise en scène fait disparaître la notion de tragique, noyée dans une esthétique du théâtre Nō, chère au chorégraphe, et que les costumes de Jeanne Vicérial soulignent franchement. La durée généreuse de l'ouvrage offre un espace mental à une méditation visuelle, au risque d'étirer le drame et les lignes narratives qui évoquent les amours contrariées d'Atys et Sangaride, jalousés par Cybèle et Célénus.

La seconde partie étant la plus concentrée sur le plan de l'action, la mise en gestes fonctionne plus aisément, bien aidée par des effets plastiques dus aux décors de Prune Nourry. La mort d'Atys est un savant hommage aux machines baroques et aux planches d'anatomie du Grand Siècle avec ce corps mi-humain mi-végétal qui s'élève vers les cintres.

Le plateau présente des individualités marquantes, comme le rôle-titre interprété par un Matthew Newlin au phrasé à la fois dense et incarné, composant avec la Sangaride d'Ana Quintans un duo parfaitement calibré et subtil dans le grand duo du IV. Giuseppina Bridelli campe une Cybèle tout en majesté et en distance, impulsant au rôle une caractérisation et une projection de belle tenue. Andreas Wolf en Célénus est un peu limité dans les changements de registres, aux antipodes d'un Luigi De Donato capable d'alterner Le fleuve Sangar et Le Temps avec une belle voix ténébreuse.

La célèbre scène du sommeil fait la part belle à Nicholas Scott (le Sommeil) et Valerio Contaldo (Morphée), tandis que Gwendoline Blondeel (Doris et Iris) et Lore Binon en Flore et Mélisse offrent une belle présence. À la tête du Chœur du Grand Théâtre de Genève et d'une Cappella Mediterranea en grand effectif, Leonardo García Alarcón sublime une partition dont il connaît les méandres et les difficultés, changeant les divines longueurs en une suite ininterrompue de contrastes et d'élégances.

L’opéra du Roi-Soleil

Claudio Poloni – Concertonet.com – 5 mars 2022

source: http://www.concertonet.com/scripts/review.php?ID_review=14956

 

On dit que c’était l’opéra préféré de Louis XIV. Le Roi Soleil aimait tellement l’ouvrage qu’il se plaisait à en fredonner les airs pendant ses promenades. Atys de Jean Baptiste Lully est le premier exemple de tragédie lyrique à la française. Fini le happy end si cher à l’opéra italien de l’époque. Ici, les deux protagonistes vont trouver la mort. Sur une structure classique en cinq actes, le librettiste Philippe Quinault raconte une histoire d’amour qui finit mal, tirée des Fastes d’Ovide : Atys, prêtre de la déesse Cybèle, aime Sangaride, laquelle doit épouser Célénus, roi de Phrygie. Mais Cybèle aime aussi Atys ; elle va utiliser ses pouvoirs de divinité pour contraindre Atys à tuer Sangaride. Lorsqu’Atys se rend compte de ce qu’il a fait, il se donne la mort et Cybèle le transforme en arbre. A sa création en 1676, au château de Saint Germain en Laye, Atys connaît un immense succès, qui ne se démentira pas pendant plusieurs années, avant de tomber dans l’oubli. L’ouvrage sera exhumé en décembre 1986 puis en 1987 à l’occasion du tricentenaire de la mort de Lully. La production, avec William Christie à la tête des Arts florissants et Jean-Marie Villégier à la mise en scène, constitue un jalon important dans la redécouverte du répertoire baroque français ; elle sera reprise en 2011, toujours sous la houlette de William Christie et de Jean Marie Villégier, à la demande d’un mécène américain.

Onze ans plus tard, Atys vient de faire une entrée fracassante au Grand Théâtre de Genève, dans une production qui ne va certainement pas manquer de devenir aussi une référence. Cette fois, les artisans du spectacle sont Leonardo García Alarcón pour la partie musicale et Angelin Preljocaj pour la partie visuelle. A la tête de sa Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcón n’a eu de cesse durant toute la soirée de couver d’un regard complice et attentif les chanteurs, mais aussi les musiciens ; ces derniers ont démontré une assurance et une virtuosité qui en disent long sur leur affinité avec ce répertoire. Le chef argentin a offert une interprétation raffinée, mais aussi dynamique et particulièrement contrastée de la partition de Lully, toujours soucieux de la tension dramatique, si bien qu’on ne s’est pas ennuyé une seule seconde pendant les plus de trois heures de musique (le prologue et quelques pièces dansées ont été supprimés). Pour sa première mise en scène lyrique, le chorégraphe Angelin Preljocaj a réussi un coup de maître : il a réalisé un spectacle parfaitement fluide, dans lequel chant et danse ne se succèdent pas alternativement mais sont constamment liés et imbriqués, et c’est bien là la grande force de la production. Le chorégraphe a pu compter sur une équipe de chanteurs disposés non seulement à bouger sur scène mais aussi à danser. Il a également fait intervenir le ballet du Grand Théâtre, superbe de précision et d’élégance, dont les danseurs doublent les chanteurs. Ce qui est véritablement fascinant, c’est qu’on finit par ne plus savoir vraiment qui, des danseurs ou des chanteurs, imitent les mouvements de qui. Le chant est parfaitement intégré à la danse et vice-versa, dans une gestuelle sobre mais très évocatrice. L’action se déroule sur un plateau nu, devant des murs d’énormes pierres disposés les uns derrière les autres, conçus par la plasticienne et sculptrice Prune Nourry, qui fait elle aussi pour l’occasion ses débuts à l’opéra. Les murs finissent par se lézarder et laisser apparaître de grosses failles noires. Pour la dernière scène, ils font place à des cordes qui s’entremêlent pour esquisser un arbre géant, sur lequel mourra Atys, arbre qui a la forme d’un squelette humain. Les costumes de Jeanne Vicérial (une autre novice lyrique !), superbes dans leur simplicité et jouant sur l’opposition entre le noir et le blanc, rappelant de surcroît vaguement le Japon, sont aussi pour beaucoup dans la réussite de la soirée.

La distribution vocale est d’un très haut niveau et parfaitement homogène. Et surtout, le français de tous est totalement compréhensible et naturel, rendant inutile le surtitrage. L’Atys de Matthew Newlin, confondant d’aisance scénique, séduit par son timbre généreux et limpide. La Sangaride d’Ana Quintans émeut par ses lamentations éplorées. Giuseppina Bridelli incarne une Cybèle fière et altière, à la ligne de chant envoûtante. Les rôles secondaires sont tout aussi brillants, avec notamment le Célénus solide d’Andreas Wolf, l’Idas aux graves percutants de Michael Mofidian et la Mélisse au chant délicat de Lore Binon. Une mention spéciale est à décerner au Chœur du Grand Théâtre. On signalera qu’avant le début du spectacle, Leonardo García Alarcón s’est adressé brièvement au public pour dédier les représentations d’Atys au peuple ukrainien et a fait jouer un arrangement baroque de l’hymne de l’Ukraine. L’émotion a parcouru les rangs du Grand Théâtre.

Atys à Genève : ils ont osé !

Jaime Estapà i Argemí – webtheatre.fr – 3 mars 2022

source: https://www.webtheatre.fr/Atys-a-Geneve-ils-ont-ose

 

Leonardo García Alarcón et Angelin Preljocaj ont relevé le défi. Ils ont remis en scène avec succès l’opéra baroque « Atys » de Lully et Quinault.

Tragédie lyrique Atys de Lully et Quinault (1676), oubliée dès la fin du XVIIe siècle, été ressuscitée par William Christie et Jean-Marie Villégier à Paris, Caen, Bordeaux et Versailles en 1987. Cette production mythique reprise en 89, 92 et plus récemment en 2011 semblait avoir figé l’œuvre pour toujours.
Rappelons brièvement la tragédie : la puissante déesse Cybèle, secrètement amoureuse du jeune Atys (un mortel) est décidée à abandonner sa condition divine pour pouvoir rester auprès du jeune homme. Or le garçon est secrètement amoureux de Sangaride (la fille du fleuve Sangar) qui l’aime aussi en retour et en secret. Mais, Sangaride a été promise au roi Célénus et lorsque le roi et la déesse découvrent que les deux jeunes gens s’aiment, la vengeance de Cybèle ne se fait pas attendre : elle rend fou Atys et l’oblige à tuer Sangaride. Revenu à son état normal, à la vue de son acte Atys se suicide. La déesse, prend alors conscience de la cruauté de sa vengeance, s’apitoie sur la dépouille de son bien-aimé et décide de le transformer en un arbre « dont les rameaux seront toujours verts ».

Une production de haute volée

Dès le départ de la représentation on a senti que l’option retenue par Leonardo García Alarcón et Angelin Preljocaj était la mise en valeur des textes de Philippe Quinault. Les chanteurs par leur maîtrise parfaite du récitatif ont rehaussé le sens des innombrables suppliques, imprécations et lamentations du livret. En même temps, les danseurs ont traduit avec finesse le sens profond des textes raffinés du poète dramaturge. Au total on a créé une atmosphère contradictoire, mélange d’amour, d’angoisse, de haine aussi, tout à fait propice à l’évolution de la tragédie.
L’action s’est déroulée dans un décor (Prune Nourry) d’une simplicité spartiate : un fond noir ou blanc, un mur (très élaboré) de style cyclopéen symbolisant sans doute les interdictions et les frustrations des personnages humains ou divins. C’est seulement à la fin de la tragédie que la scène s’est habillée grâce à l’apparition de l’arbre : complexe et tourmenté, sans feuillage, avec des branches se tressant, s’entrecroisant, se séparant pour se rencontrer quelques mètres plus haut : une créature spectaculaire, impossible en somme.
Angelin Preljocaj, bon chorégraphe, a fait danser sans répit les excellents éléments du Ballet du Grand Théâtre de Genève. En plus de cela, il a obligé les chanteurs à emprunter les pas de danse de ses danseurs, cherchant à tout moment le geste qui pouvait traduire au mieux le texte que l’acteur était en train de réciter. Paradoxalement cette option a renforcé les intentions des personnages (comme si la seule communication orale était insuffisante) ce qui a facilité grandement le suivi de l’intrigue.
De son côté, Leonardo García Alarcón en bras de chemise face à sa Cappella Mediterranea, a pris résolument la direction de la représentation tout entière. Très attentif à la fosse comme à la scène, imprimant à tout instant le dynamisme demandé par la partition, il a conduit de main de maître les uns et les autres. Il a respecté la toute relative puissance des voix et il s’est bien occupé des chœurs (magnifiquement préparés par Alan Woodbridge), en battant la mesure avec sa gestuelle expressive, aux mille possibilités.

Des chanteurs face à leurs personnages pour la première fois

Aucun des chanteurs présents sur scène n’avait participé à la reprise de la production de Christie-Villégier de 2011. Cela veut dire que pour eux tous il s’agissait là d’une prise de rôle, l’équivalant donc de la création d’une œuvre nouvelle. Leur sens de la scène et leur maîtrise du récitatif en particulier, ont représenté autant d’atouts qui leur ont permis de remplir plus que correctement leurs rôles.
Matthew Newlin a été un Atys amoureux sans nul doute, n’hésitant pas à mentir à la déesse pour préserver sa bien-aimée. L’acteur a parfaitement maitrisé la diction française - on dira la même chose du reste de la distribution à majorité non française- et il a suivi docilement les pas de danse imposés par le directeur de scène, une vraie performance d’acteur. Par la lumière et la richesse du spectre de sa voix et la fragilité de son jeu théâtral, Ana Quintans a créé une Sangaride totalement crédible. Elle a incarné un personnage écrasé entre l’autorité du père le fleuve Sangar -superbement endossé par Luigi De Donato- l’obsession amoureuse du roi Célénus -Andreas Wolf à la diction suave mais d’une grande fermeté- et ses propres sentiments vis-à-vis d’Atys. Giuseppina Bridelli a dû affronter un rôle impossible. Sa voix de diamant, claire et pure, solaire par moments ne pouvait que très difficilement épouser la deuxième partie de son personnage, celui de la Cybèle blessée, vengeresse, ayant perdu tout sens de l’équilibre et de la mesure. Et ce fut encore plus difficile pour elle de jouer le retournement final, le pardon du traitre et sa décision de le transformer en arbre tout en le pleurant avec la merveilleuse phrase conclusive : « Que le malheur d’Atys afflige tout le monde ! »
Ces rôles principaux ont été bien appuyés par les qualités artistiques du reste de la distribution, que ce fût la voix puissante de Nicholas Scott (Le Sommeil), la finesse de Gwendoline Blondeel (superbe Doris/Iris/Divine fontaine 2/Flore), la présence sur scène de Lore Binon (Mélisse/Divine fontaine 1), et l’apport présentiel et vocal de Michael Mofidian, Valerio Contaldo et José Pazos.

Le miracle Atys renouvelé au Grand-Théâtre de Genève

Emmanuel Andrieu – Opera-Online.com – 6 mars 2022

source: https://www.opera-online.com/fr/columns/manu34000/le-miracle-atys-renouvele-au-…

 

Le premier opéra que nous ayons vu sur une scène lyrique était cet Atys de Jean-Baptiste Lully que met actuellement à son affiche le Grand-Théâtre de Genève. C’était il y a tout juste trente ans, dans la mythique production du duo Villégier/Christie, et ce spectacle fut un tel choc émotionnel qu'il allait déterminer notre future vie professionnelle. Et l’enjeu était donc grand pour le chorégraphe Angelin Preljocaj, à qui Aviel Cahn a confié sa première mise en scène lyrique, de faire oublier cet impérissable souvenir à tous ceux qui ont eu la chance d’assister à ce spectacle lors de sa création à l’Opéra Royal de Versailles en 1987 (ou lors de sa reprise à l’Opéra-Comédie de Montpellier en 1992).

Comme lors de notre souvenir, avant toute interférence du travail scénique, il y a d’abord le miracle de la rencontre de la musique de Lully et du verbe de Philippe Quinault : la prosodie de ce dernier, toujours souple et féconde, permet à la musique du maestro florentin de s'envoler, de se faire tour à tour intime ou glorieuse, légère ou dramatique, mais sans cesse parfaitement au service du sentiment, de la langue et de la vérité psychologique. Pas un récitatif ici qui ne soit intensément recréé, vécu dans sa vérité foncière, son émotion vivante, sa beauté exaltante.

C’est bien sûr un autre univers que crée ici Angelin Preljocaj, mais c’est au final le même émerveillement qui saisit les spectateurs pendant les 3h30 que dure la soirée : bien que par des moyens différents, la qualité esthétique générale du spectacle n’a rien à envier à celle créée par Jean-Marie Villégier il y a trente-cinq ans. Les deux productions ont cependant en commun, entre autres choses, l'importance prépondérante des costumes, ici réalisés par Jeanne Vicéral, qui oscillent entre vêtements antiques, costumes futuristes ou inspirés du nô japonais. Due à Prune Nourry, la scénographie offre d’abord au regard un imposant mur de blocs de pierres, comparable au fameux mur des lamentations, mais ici lézardé en de nombreux points, d’où émergent certains danseurs. Plus tard, on retrouve un plateau nu tandis que de grosses cordes tressées montent vers les cintres pour finalement dessiner un immense arbre sous forme de squelette humain (photo), juste après la mort d’Atys, dont cette image préserve le souvenir puisque ce dernier est métamorphosé en pin par la déesse Cybèle (selon le mythe).

Impossible, alors que nous avons vu le spectacle il y a seulement un mois, de ne pas faire également de parallèle entre le Cosi fan tutte conçu par Anne Teresa De Keersmaeker et ce nouvel opus lyrique chorégraphié. Angelin Preljocaj reprend cette formule du « doublon » : les principaux personnages sont dédoublés par des danseurs du Ballet du Grand-Théâtre de Genève. Parfois ce sont les danseurs qui s’inspirent des chanteurs pour les mouvements, parfois l’inverse, mais jamais ils ne sont en décalage avec le magnifique livret de Quinault. Que tout cela est beau, que c’est émouvant, et que le plaisir est grand pour des spectateurs qui multiplieront, debout, les rappels à l’issue d’une soirée pourtant fort longue !

Dans le rôle-titre, le ténor américain Matthew Newlin s’avère un artiste accompli grâce à ses dons de chanteur autant que de comédien-danseur, et triomphe aux côtés de la Cybèle de la mezzo italienne Giuseppina Bridelli qui domine tous ceux qu’elle veut dominer… sauf Atys lui-même ! D’où sa fureur, sa vengeance, son repentir et sa douleur, tous états que la voix sombre et mordorée à la fois de la cantatrice italienne suscite également chez les spectateurs. Face à ces deux-là, personne ne démérite pour autant, de la Sangaride émouvante et évanescente de la soprano portugaise Ana Quintans, au percutant et sonore Célénus de la basse allemande Andreas Wolf. Mentionnons encore Luigi De Donato en fleuve Sangar, Gwendoline Blondeel en Doris, Michael Mofidian en Idas, ou encore Lore Binon en Mélisse, tous s’exprimant dans un français excellent malgré leurs nationalités pourtant très diverses.

Last but not least, la réussite du spectacle doit beaucoup à la baguette de Leonardo Garcia Alarcon, qui insuffle lumière, tendresse, et vie à cette musique que d’aucuns jugent « compassée », et qui, sous sa battue amoureuse – et une frémissante Cappella Mediterranea – devient un pur instant de beauté. Bref, la magie – pour ne pas dire le miracle – de l’opéra préféré de Louis XIV a donc été renouvellée au Grand-Théâtre de Genève !

Au Grand Théâtre de Genève, Atys attise le plaisir

Irma Foletti – Bachtrack.com - 4 mars 2022

source: https://bachtrack.com/fr_FR/critique-atys-preljocaj-alarcon-cappella-mediterran…

 

C'est un spectacle qui respire l'intelligence et procure le plaisir, mais l'heure n'est pas moins grave. En ce jeudi 3 mars au Grand Théâtre de Genève, Leonardo García Alarcón prend la parole avant le début de la représentation pour suggérer une prière pour la paix et exprimer compassion et solidarité avec le peuple ukrainien. L'hymne du pays est alors joué, en une magnifique version baroque et vraisemblablement plus lente que sa version originale, renforçant ainsi l'émotion partagée par une salle debout et plongée dans le noir.

L'opéra commence ensuite avec son prologue, ici drastiquement réduit à quelques minutes, en un choix assumé par le chef argentin et le metteur en scène d'introduire uniquement le drame qui suit et non pas de développer cette ode de circonstance à la gloire de Louis XIV. C'est la première mise en scène d'opéra du chorégraphe Angelin Preljocaj, et ce coup d'essai est un absolu coup de maître. Il s'agit d'un spectacle total équitablement partagé entre musique, chant et danse, pour le plaisir des oreilles, des yeux... et de l'esprit, tant les surprises sont nombreuses et l'émotion constamment présente. La frontière entre ballet et opéra est de fait abolie, les gestes des chanteurs étant constamment chorégraphiés, ceux-ci dansant en même temps que les membres du Ballet du Grand Théâtre de Genève. Cette chorégraphie ne se limite pas à quelques gestes hiératiques alla Bob Wilson, mais propose une grande variété de mouvements, de rythmes, de positions, comprenant d'ailleurs quelques portés.

Les costumes en noir et blanc de Jeanne Vicérial, dans l’ensemble épurés et élégants, relèvent également d'une folle imagination à tendance asiatique. La scénographie de la plasticienne Prune Nourry forme un pareil enchantement, nous situant sans doute quelque part au Moyen-Orient au cours des trois premiers actes qui se déroulent devant d'imposants murs blancs en travers qui se fissurent au fur et à mesure de la progression de la tragédie. Le plateau se dépouille dans des tons bleus après l'entracte, pour terminer avec la transformation d'Atys en pin, un arbre qui s'élève dans les cintres en dévoilant ses racines aux allures de squelette humain, avec cage thoracique et membres.

La distribution vocale réussit le tour de force d'assurer une suprême qualité de diction du texte – et quel fabuleux livret de Philippe Quinault ! – tout en ne comprenant que très peu d'interprètes francophones, en particulier pour les premiers rôles. Dans le rôle-titre, le ténor étasunien Matthew Newlin est doté d'un médium nourri et monte sans difficultés vers son registre aigu, celui-ci étant toutefois émis sans projection supplémentaire. Dans le rôle de son aimée Sangaride, la soprano portugaise Ana Quintans distille sa pulpe vocale délicate, en modifiant les affects par de petites inflexions. Rôle au moins aussi important que celui d'Atys, la déesse Cybèle est défendue par la mezzo italienne Giuseppina Bridelli à la couleur sombre un peu plus dramatique, spécialiste du répertoire baroque et qui pousse magnifiquement certaines notes fixes. On entend un léger accent chez le baryton-basse allemand Andreas Wolf qui incarne Célénus, époux promis à Sangaride mais non aimé par elle, la voix est suffisamment puissante, accompagnée d'un petit vibratello.

L'autre baryton-basse Michael Mofidian (Idas / Phobétor) est superbement timbré, les sopranos Gwendoline Blondeel (Doris / Iris / Flore) et Lore Binon (Mélisse) cisèlent le texte avec goût, c'est un peu moins le cas pour la basse Luigi De Donato (Le fleuve Sangar), tandis que Nicholas Scott (Le sommeil / Zéphyr), Valerio Contaldo (Morphée / Dieu de Fleuve) et José Pazos (Phantase) complètent avec bonheur.

Leonardo García Alarcón et son orchestre de la Cappella Mediterranea sont aussi les grands triomphateurs de cette éclatante réussite. Jouée dans la fosse surélevée, la musique s'épanouit avec ampleur, la partition prend vie dans une dynamique enthousiasmante, aux nuances franches et variées. Le chef est particulièrement attentif au plateau et donne même les départs des coups d'épée qui fendent l'air pendant le duo de l'acte II entre Atys et Célénus. Une mention également pour le Chœur du Grand Théâtre de Genève, impeccablement préparé par Alan Woodbridge. Après la fameuse production de Christie et Villégier en 1987 à l'Opéra Comique, voici donc 35 ans plus tard celle d'Alarcón et Preljocaj tout aussi marquante, un spectacle total d'une très grande envergure visuelle, sonore et émotionnelle.

Au Grand-Théâtre de Genève, un sublime Atys

Paul-André Demierre – crescendo-magazine.be – 4 mars 2022

source: https://www.crescendo-magazine.be/au-grand-theatre-de-geneve-un-sublime-atys/

 

Prodigieux spectacle que cet Atys de Jean-Baptiste Lully présenté par le Grand-Théâtre de Genève ! Son directeur, Aviel Cahn, a eu l’idée géniale de susciter une collaboration entre Leonardo Garcia Alarcon et le chorégraphe Angelin Preljocaj qui, pour la première fois dans sa carrière, assume la mise en scène d’un opéra. De cette tragédie lyrique sur un livret de Philippe Quinault, adorée par Louis XIV qui assista à la création à Saint-Germain-en-Laye le 10 janvier 1676, l’on a gardé en mémoire la production de 1987 de Jean-Marie Villégier dirigée par William Christie et reprise en 2011, production historicisante qui, dans son statisme empesé, suggérait l’esthétique théâtrale à la Cour du Roi Soleil.

Ici, tout est mouvement continuel comme dans un opéra-ballet dont la danse est l’élément vital. D’entente avec le directeur musical qui a opéré des coupes drastiques dans cette interminable partition, Angelin Preljocaj modifie le Prologue, hommage délibéré au tout puissant monarque, pour en faire une introduction à la tragédie elle-même. Mais le soir de la première du 27 février, comme dans les représentations ultérieures, Leonardo Garcia Alarcon s’adresse au public en évoquant les terribles événements actuels ; puis il présente l’hymne ukrainien dans un arrangement pour formation baroque qu’il a conçu à l’intention de sa Cappella Mediterranea.

Dès le lever du rideau, l’on est pris à la gorge par l’énergie avec laquelle il empoigne cette œuvre monumentale en voulant faire corps avec elle à l’instar du metteur en scène-chorégraphe. Le travail avec les danseurs du Ballet du Grand-Théâtre de Genève a modelé la trame à laquelle les chanteurs s’assimilent naturellement en adoptant ce mouvement continuel qui pousse les êtres au-delà de leurs limites. Le geste prolonge le chant comme un sous-texte qui amène deux danseurs à traduire les véritables sentiments qu’occulte le discours échangé entre les protagonistes.

La bien pauvre intrigue de l’ouvrage se résume en quelques lignes : Atys, prêtre de Cybèle, aime Sangaride. Mais celle-ci doit épouser Célénus, roi de Phrygie, alors que la déesse est éprise d’Atys. Cybèle utilisera ses pouvoirs pour que son serviteur, dans un accès de folie, tue Sangaride. Puis il se donnera la mort en comprenant son forfait et finira par être métamorphosé en pin par la déesse éplorée.

Sous de suggestifs jeux de lumière conçus par Eric Soyer, le décor de Prune Nourry est dépouillé puisqu’il ne consiste qu’en un mur des lamentations dont les lézardes laissent apparaître les ombres côtoyant un peuple hybride, étrangement costumé par Jeanne Vicérial, où se mêlent samouraïs vêtus de noir, justaucorps de guerriers et tuniques à la grecque. Certains tableaux sont saisissants, comme le songe d’Atys martyrisé par les esprits malfaisants, la danse nuptiale lors du mariage de Sangaride au roi Célénus et la scène finale où l’arbre surplombant la dépouille d’Atys se dresse comme un squelette attiré vers les sphères célestes.

Il faut dire que, sur scène, brûle les planches un protagoniste d’exception, le ténor Matthew Newlin, natif de l’Illinois, qui impressionne par la perfection de la diction française reléguant au second plan un timbre rugueux peu plaisant qu’il utilise à des fins dramatiques pour mettre en exergue son sort infortuné. Sa présence lui concède une aisance dans une gestique compliquée imposée par la mise en scène, alors qu’il est confronté à la Sangaride beaucoup plus roide de la soprano portugaise Ana Quintans au coloris vocal fruité mais à la fixité d’aigu navrante, si caractéristique de certaines émissions baroques. La Cybèle de la mezzosoprano Giuseppina Bridelli laisse affleurer sporadiquement le même défaut. Mais son expression tragique la rend bouleversante dans ses passions dévorantes profondément humaines, même si elles semblent peu compatibles avec l’attitude hiératique d’une déesse. Par la patine cuivrée de son timbre de baryton-basse, Michael Mofidian est magnifique de générosité dans le rôle d’Idas, l’ami intime d’Atys, tandis que le ténor Andreas Wolf paraît beaucoup plus rigide dans le personnage sacrifié du roi Célénus. Remarquables, les prestations de Gwendoline Blondeel comme Doris, confidente de Sangaride, et de Lore Binon en Mélisse, suivante de Cybèle. Et sont bien tenus les seconds plans par Nicolas Scott (le Sommeil), Valerio Contaldo (Morphée et le Dieu de Fleuve)*, Luigi De Donato (le Fleuve Sangar) et José Pazos (Phantase). Comme toujours, le Chœur du Grand-Théâtre de Genève, préparé par Alan Woodbridge, est magnifique, même lorsqu’il doit prendre part à des séquences dansées. Et la Cappella Mediterranea épouse minutieusement les intentions de son chef, Leonardo Garcia Alarcon, en faisant valoir la chatoyante richesse du tissu instrumental.

En conclusion : si au moins toute exhumation d’ouvrage baroque avait une telle envergure théâtrale, l’on en deviendrait un adepte inconditionnel !

Un «Atys» onirique et solidaire avec l’Ukraine

Sylvie Bonier – Le Temps - 28 février 2022

source: https://www.letemps.ch/culture/un-atys-onirique-solidaire-lukraine

 

Au Grand Théâtre de Genève, la première de l’opéra de Lully, dirigé par Leonardo Garcia Alarcon et mis en danse par Angelin Preljocaj, a été marquée par un discours musclé d’Aviel Cahn et la transcription de l’hymne national ukrainien par le chef baroque

C’est debout que le public du Grand Théâtre a accueilli Atys au Grand Théâtre, dimanche soir. La salle s’est levée d’un seul mouvement quand le chef Leonardo Garcia Alarcon a entamé sa transcription baroque de l’hymne national ukrainien à la suite du discours très ferme du directeur, Aviel Cahn, contre l’attaque russe en Ukraine.
Un moment d’une intensité unique, lors duquel une spectatrice a violemment protesté contre la prise de position du directeur, avant qu’un spectateur lui lance un «connard!» insultant. Les mots musclés du directeur ont positionné la scène de Neuve comme un lieu de résistance et d’engagement dont les Genevois peuvent être fiers.
Le texte du directeur exprime son opposition farouche à la guerre en cours. Mais il représente aussi le sentiment du monde artistique qui l’entoure. Aviel Cahn ne pouvant être présent à toutes les représentations, Leonardo Garcia Alarcon rejouera l’hymne qu’il a personnellement retranscrit pendant toute la durée des représentations d’Atys, après un mot de soutien aux victimes du conflit.

Lectures politiques des œuvres

«La réaction de certains a donné l’occasion de voir la virulence de leurs positions, commente Aviel Cahn après son intervention. Je suis étonné aussi par ceux qui défendent ou plaignent Valery Gergiev et d’autres artistes très proches de Vladimir Poutine. Le mouvement de manifestation s’amplifie. Même le directeur du Bolchoï a aussi pris position contre le chef de l’Etat russe, et le grand violoniste Vladimir Spivakov, qui était pourtant très lié au dirigeant, s’est exprimé en sa défaveur.»
Comment se dessinent les invitations d’artistes russes au Grand Théâtre? «Nous n’avons pour l’instant pas de cas de ce type et allons étudier la situation pour les futurs invités. Nos productions proposent souvent des lectures politiques des œuvres. On se souvient de Guerre et Paix de Prokofiev, récemment. Le prochain spectacle de danse, Double Murder, du chorégraphe israélien Hofesh Shechter, est un hymne pacifiste et poétique contre la violence entre les hommes. L’art reflète aussi le monde.»
Sur le plan artistique, cet Atys restera aussi dans les mémoires par le traitement original d’Angelin Preljocaj, qui en a chorégraphié le chant. Le pari s’est révélé passionnant car l’artiste utilise l’expression vocale comme un élément à part entière de la chorégraphie. Et vice versa…

Une appropriation de la musique et du texte

Ce n’est pas la première fois qu’un créateur de danse s’attelle au domaine lyrique. Certains se souviendront du Don Giovanni de Mozart où Hugues Gall avait convié Maurice Béjart pour son intronisation de mandat au Grand Théâtre. C’était en 1980. Depuis, nombre de productions de ce type ont occupé les scènes lyriques, dont le fameux Orfeo de Trisha Brown qui avait fait sensation à Aix-en-Provence en 1998.
Qu’a donc de particulier cette première rencontre du chorégraphe français avec le monde lyrique? Une appropriation du texte et de la musique, totalement intégrés dans sa gestuelle néoclassique sensuelle et épurée. Au fil de l’œuvre, la relation entre les deux univers se creuse et se libère de l’obligation de commenter l’action.
Des premiers moments où Idas danse avec Atys, le porte et le fait tournoyer tout en chantant, jusqu’à la fin où Atys monte aux cieux suspendu à des filins invisibles, les mouvements trouvent leur place naturelle dans le déroulement musical et textuel. La fusion opère en se débarrassant des conventions et en intégrant petit à petit les spécificités du genre opératique.

Direction musicale fine et narrative

Musicalement, la clarté de diction de tous est parfaitement intelligible et la souplesse des lignes s’avère naturelle, grâce à la précision de direction et au sens de la narration de Leonardo Garcia Alarcon. Au fil du temps, la beauté des décors de Prune Nourry poétise le spectacle, d’un vaste mur ancien blanc à des racines sombres et un arbre nocturne. La belle dramatisation des lumières d’Eric Soyer et les costumes à franges aériens et asiatisants de Jeanne Vicérial complètent un tableau onirique et évocateur.
La Cappella Mediterranea déploie la partition avec finesse et énergie sous le geste invitant du chef, et les voix s’ouvrent progressivement à l’émotion. Dans la deuxième partie plus intime et touchante, Matthew Newlin (Atys argenté à l’incroyable aisance corporelle), Giuseppina Bridelli (Cybèle vibrante et charnelle), Ana Quintans (émouvante Sangaride au timbre fruité) Andreas Wolf (Célénus énergique) et Michael Mofidian à la couleur profonde (solide Idas/Phobétor/songe funeste) composent un beau quatuor de solistes que le reste de la distribution honore.

« Atys » de Lully, histoire d’une métamorphose au Grand Théâtre de Genève

Marie-Aude Roux –Le Monde - 27 février 2022

source: https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/02/27/atys-de-lully-histoire-d-une-…

 

Le chorégraphe Angelin Preljocaj dirige sa première mise en scène d’opéra aux côtés de la plasticienne Prune Nourry et du chef d’orchestre Leonardo Garcia Alarcon.

La belle Sangaride vient de s’affaisser, mortellement touchée à la poitrine d’une blessure qui a ouvert dans le haut de sa robe un bouillonné de tissu rouge. Son amant, Atys, égaré par les sortilèges trompeurs de la jalouse déesse Cybèle, a cru tuer un monstre. « Atys lui-même/Fait périr ce qu’il aime », déplorent en chœur les Phrygiens. Premier filage et dernière ligne droite au Grand Théâtre de Genève qui affiche, du 27 février au 10 mars, une nouvelle et très attendue production d’Atys, de Lully. Une gageure tant la montre baroque semblait s’être arrêtée en 1987 (ne serait la confidentielle production de Lucinda Childs en 2015, à l’Opéra de Kiel, en Allemagne), quand la tragédie lyrique avait été ressuscitée par William Christie et Jean-Marie Villégier à l’Opéra-Comique.

La mode est alors à la danse baroque des Ris et Danceries, emmenés par Francine Lancelot. En 2022, virage sur l’aile : c’est à Angelin Preljocaj qu’Aviel Cahn, le directeur de la maison d’art lyrique genevoise, a confié la mission d’affronter le tabou. Un défi que le chorégraphe relève, lors d’une répétition lundi 21 février, avec une excitation palpable. « Atys est une sorte d’histoire à la Roméo et Juliette, en pire, affirme-t-il, car cette fois les dieux s’en mêlent. » Le Français d’origine albanaise s’attelle pour la première fois à une mise en scène d’opéra, un passage à l’acte jusqu’alors maintes fois repoussé. « Pas question, évidemment, d’aller dans un sens muséal ou historique, assure-t-il, mais au contraire de s’interroger sur la réactivation de l’œuvre au présent. » Et plus encore de ranimer et remailler la cohabitation native du corps entre chant et danse.

Si les danseurs ne chantent pas, les chanteurs, eux, dansent. Ce critère a d’ailleurs guidé le choix des artistes lyriques par le chef d’orchestre, Leonardo Garcia Alarcon. Une évidence dès la répétition du lendemain avec le début de l’acte III, scène cruciale qui voit Atys, encouragé par son confident Idas et la nymphe Doris, se résoudre à trahir le roi Célénus, promis en noces à celle qu’il aime – « L’Amour dispense/Les rivaux d’être généreux. » Alarcon vient d’interrompre les trois protagonistes et leurs groupes de danseurs affiliés. « On perd la composition de Lully, on n’y comprend rien ! », lance-t-il. Le chef les fera s’avancer sur le devant de la scène, leur demandera de chanter sans bouger, puis de danser sans chanter. Enfin, de joindre le geste à la parole. « Utilisez la danse pour soutenir la ligne vocale ! » Atys reste seul. Un moment propice pour la déesse Cybèle qui lui envoie un songe lui avouant son amour, tandis que le grand mur antique, scénographié par Prune Nourry, se lézarde de failles noires radiculaires.

Théorie des cordes

La plasticienne fait partie de l'équipe rassemblée par Angelin Preljocaj. Le danseur a été impressionné par son exposition « Catharsis » présentée en 2019 à la galerie Templon, à Paris, notamment par ses sculptures anatomiques en tubes de verre de laboratoire d'inspiration baroque, dont River Woman, corps humain hybridé au moyen d'un réseau veineux, qui sert de modèle à la métempsycose scénique d'Atys : le livret de Philippe Quinault (1635-1688) s'inspire en effet des Métamorphoses d'Ovide — le jeune éphèbe, suicidé par amour, est transformé en pin. La jeune femme, qui s'était enthousiasmée à 18 ans pour le Faust de Gounod mis en scène à l'Opéra de Paris par Jorge Lavelli, fait, elle aussi, sa première incursion dans le monde de l'opéra. Tout comme la « costumière », Jeanne Vicérial, sculptrice venue de la mode, également passionnée par l'anatomie.

Tous trois se sont retrouvés autour de mots-clés : « hybridation » (une variante de la métamorphose), « rhizome », «fractal », «rituel ». Mais aussi « cordes », ce mot interdit au théâtre. «On a trouvé par intuition, rappelle Prune Nourry. L'opéra est traversé par l'amour et ses particules vibratoires.» D'où ce succédané inspiré de la théorie des cordes, instrumentales et vocales, mais aussi cordages de matériaux, qui constituent le fondement du travail des deux plasticiennes. Immenses « câbles » noués pour l'une (l'arbre de vie d'Atys), fils suspendus ou frangés, parfois comme tissés en arpège pour l'autre, dans de magnifiques costumes aux lignes japonisantes. «J’ai considéré le chœur, les solistes et les danseurs comme un seul organe », précise Jeanne Vicérial, dont la vision participe au rituel scénique.

«Au début, je n'aimais pas du tout Lully », a lâché tout de go Leonardo Garcia Alarcon. L'Argentin partage avec William Christie, qu'il admire depuis toujours, une foncière détestation pour le compositeur homme de pouvoir, qui fit la pluie et le beau temps à la cour. «L'homme est absolument horrible à tout point de vue », confiait Christie en 1987 dans le numéro 94 de L'Avant-scène opéra. Et puis, en 2015, il y a eu «La Dernière Nuit », célébration du tricentenaire de la mort de Louis XIV dans la basilique de Saint-Denis. Alarcon y interprétait, entre autres, deux grands motets de Lully, corpus sacré dont il donnera en 2018 un éclatant florilège dans la chapelle royale du château de Versailles.

Transe optique»

Pour Atys, « l'opéra du roi », il a d'abord hésité, avant de se laisser persuader par les chiffres : trois cents ans tout juste séparent en effet la création de l'œuvre, en 1676, à Saint-Germain-en-Laye, et sa propre naissance, en 1976, à La Plata (Argentine). «A l'époque de Christie, revenir à la gestuelle ancienne était moderne. Avec Angelin Preljocaj, nous ouvrons un autre monde», déclare-t-il.

Les deux hommes se sont tout de suite entendus. Preljocaj vit depuis trente ans à Aix-en-Provence, l'une des places fortes de l'opéra, tandis qu'Alarcon, dont la sœur aînée était «l'étoile de la famille», exprime volontiers une familiarité avec la danse, comme en témoigne sa direction. Rappelons qu'il était dans la fosse pour Les Indes galantes, de Rameau, version hip-hop de Clément Cogitore et Bintou Dembélé, à l'Opéra Bastille, en 2019. D'un commun accord, ils ont décidé de réduire le prologue à une simple introduction. Ce passage obligé de la célébration royale a toujours constitué, assure Alarcon, une variable d'ajustement dans l'histoire. Preljocaj a aussi supprimé quelques pièces dansées, ramenant le spectacle à un peu moins de quatre heures.

Faire travailler la danse à des non-danseurs, Preljocaj s'y est déjà attelé lors d'un projet de quatre mois à la prison des Baumettes, à Marseille, avec des détenues, dont a été tiré en 2019 un spectacle, Soul Kitchen, ainsi qu'un documentaire signé Valérie Müller, intitulé Danser sa peine. «Ma passion est de faire vivre les corps, de trouver des résonances artistiques avec la réalité concrète qui s'est inscrite en eux », indique le danseur, qui a construit sur le plateau une chorégraphie en quasi-continuum afin de créer « une sorte de transe optique, quelque chose qui fascine ». Preljocaj n'écrit pas sur la musique mais au métronome, dans le silence. «J'essaie de déployer ma propre partition musicale. Il ne faut pas que la danse épouse trop la musique. Toutes deux doivent rester en dialogue.» Dans la continuité de William Christie, Leonardo Garcia Alarcon a dirigé à partir de l'édition originale publiée par Les Arts florissants, ajoutant à l'orchestration les cymbales antiques qui servaient à la célébration du culte de la déesse Cybèle. Il s'applique à retrouver, dans une écriture qui «a reproduit en musique le contrôle de la nature exercé par les jardins à la française», les traces d'une italianité qu'illustrent les fins de phrase systématiquement ornementées afin d'en masquer l'accentuation. « Atys constitue l'apogée de la tragédie lyrique, conclut-il. Pour la première fois, Lully s'arroge le droit de faire mourir son héros. » Sur le plateau, une monstrueuse mangrove sombre, stylisée. Rendu à la conscience et désespéré par la mort de Sangaride, Atys s'est poignardé sous les yeux horrifiés de Cybèle. «Il est doux de mourir avec ce que l'on aime », chante-t-il. Fresques de danseurs delphiques en robes diaphanes. La scène dernière ne sera que fureur et lamentations, nymphes des eaux et corybantes guerriers alternant rage et soupirs. Le corps d'Atys s'élève dans les airs, tandis que l'arbre transcendé de Prune Nourry épanouit son labyrinthe noueux de cordes, figurant dans l'espace, entre entrelacs et vaisseaux, la transmutation végétale d'un corps humain. Saisissant.

Am Ende ist der Held ein Baum – Lullys Tragédie lyrique „Atys“ am Grand Théâtre de Genève

Joachim Lange – Neue Misikzeitung – 1 mars 2022

source: https://www.nmz.de/online/am-ende-ist-der-held-ein-baum-lullys-tragedie-lyrique…

 

Es hat per se den Reiz des Exklusiven, die französische Oper bis zu des Sonnenkönigs Starkompositeur Jean-Baptiste Lully (1632-1687) auf ihre Bühnentauglichkeit für heute auszuloten. Nun ist Genf nicht Frankreich, aber doch recht französisch. Und Intendant Aviel Cahn ist clever genug, sein quasi royales Opernprojekt „Atys“ als Koproduktion mit der Opéra royal de Versailles gleichsam durch den genius loci sekundieren zu lassen. Das verspricht eine Art Operntraum, der im günstigsten Falle einen silbern schimmernden Abglanz jenes goldenen Zeitalters aufscheinen lässt, in dem der König selbst so gerne eine Sonne tanzte. Um dann der Sonnenkönig zu sein, an dem sich auch Lully zumindest viele Jahre erwärmte.

Freilich muss heute bei der Einrichtung einer Tragédie lyrique Lullys für die Bühne die grundlegende Veränderung von Hör- und Sehgewohnheiten bei der Zuhörerschaft in Rechnung gestellt werden. Eine ausgedehnte Schlummermusik wie im vorliegenden Fall kann für anders geeichte Ohren auch zur realen Gefahr werden. …

„Atys“ wurde 1676 uraufgeführt – Jean Philippe Rameau wurde erst sieben und Georg Friedrich Händel neun Jahre später geboren. Während in Deutschland zumindest Rameau kollegial von Händelrenaissance und davon befördertem Barockboom profitiert, braucht es in Frankreich (bzw. dem französischen Sprachraum) immer noch erhebliche Ambition für das eigene historische Erbe (was erstaunlicherweise analog auch für die Grand Opéra gilt).

In Genf jedenfalls hat man nicht nur diesen Ehrgeiz fürs Besondere, sondern auch ein Händchen für die entsprechenden Protagonisten. Im wieder mit nur freiwillig maskiertem Publikum gut gefüllten Haus ging jetzt Lullys Spektakel „Atys“ über die Bühne. So kurz der Titel, so lang das Stück. Es ist eine dreieinhalb Brutto-Stunden währende, exemplarische Melange aus französischer Wortmelodik, hauteng damit verbundener, aber auch separat erklingender Musik und (der Vorliebe des royalen Auftraggebers entsprechend) ausgedehnter Tanzeinlagen.

„Atys“ ist ein genregemäßer Fünfakter mit Prolog und ausgedehnten Balletteinlagen, der zwar mit einer Huldigung an den König begann, aber erstmalig tragisch für den Titelhelden enden durfte. Musikalisch können sich der barockmusikbewährte Argentinier Leonardo García Alarcón und seine Capella Mediterranea bei ihrem Lully-Engagement durchaus an William Christie und Les Arts Florissantes messen lassen, die einem zuerst einfallen würden, wenn man an eine Auffrischung von über 350 Jahre altem Musiktheater denkt. Das Orchester umschmeichelt die Worte, lässt sich von dem verführerischen Charisma eines Dauerparlandos mit gelegentlichem Aufschäumen leiten, ohne sich darin zu verlieren, atmet mit den Sängern und den Tänzern. In dem Falle auch umgekehrt. Die mustergültig gelungene, spezifisch französische Symbiose von Wort und Musik wird zu einer Wortmusik, die in ihrer Klarheit an Monteverdi erinnert.

Für ein Regieteam ist es eine besondere Herausforderung, heutige Erwartungen an einen durchgängigen, dramaturgisch schlüssigen Handlungsverlauf und eine nachvollziehbare Figurenpsychologie unter den Schichten höfischer Musiktheaterkonvention aufzuspüren und mit einem originellen Zugriff freizulegen.  Anders als bspw. Robert Carsen 2008 in Paris bei Lullys später „Armide“ überschreibt Regisseur und Choreograf Angelin Preljocai die mythische Geschichte nicht mit einer Alltagsgeschichte von heute. Er reduziert sie vielmehr auf den Kern des durchdeklinierten beziehungstechnischen Auf und Ab, das hier verhandelt wird. Durch die Einhegung der Freiheit der Herzen (wie es an einer Stelle kühn formuliert wird) und die Verbindung von Macht und Obsession wird „Atys“ die erste Tragédie lyrique, die tragisch endet.

Mit seinem Libretto greift Phillippe Quinault auf Ovid zurück. Nach dem vorgeschalteten, quasi an den König gerichteten Prolog (auf dessen direkte Adressierung man wie schon früher so auch hier verzichtet) beginnt eine tragische Liebesgeschichte, in der die Göttin Cybèle den Jüngling Atys liebt. Der aber ist in die Nymphe Sangaride verliebt, die wiederum den mit Atys befreundeten König Celænus heiraten soll. Obwohl sie eine Göttin ist, hat Cybèle von Atys’ Neigung zur Nymphe nichts mitbekommen und macht ihn zu ihrem Hohepriester. Die Tragödie nimmt Fahrt auf, als Cybèle Atys ihre Liebe gesteht, der aber bei seiner Herzensentscheidung für Sangaride bleibt. Wovon die wiederum nicht rechtzeitig genug erfährt und so der vorgesehenen Hochzeit mit Celænus zustimmt. Ein auch szenisch ergiebiger Coup ist der dramatische Aufritt, mit dem Atys die Hochzeit platzen lässt. Er behauptet, Cybèle habe die Heirat untersagt und verschwindet mit Sangaride. Ein Triumph der Leidenschaft, der natürlich schnell mit der Wirklichkeit kollidiert. Cybèle rastet aus, ruft die Furie Alecton herbei, die Atys verhext, so dass er im Wahn Sangaride für ein Ungeheuer hält und tötet. Nachdem er wieder zur Vernunft gekommen ist, ersticht er sich selbst, wird von Cybèle in eine Pinie verwandelt und ausgiebig betrauert.

Nachdem die betont minimalistische Bühne der jungen französischen bildenden Künstlerin, Performerin, Bildhauerin und Videografin Prune Nourry davor nur durch eine leicht wandelbare Mauer aus riesigen Quadern einen martialischen Hintergrund erhielt, dem auch die phantasievollen Kostüme von Jeanne Vicérial entsprachen, dominiert in den letzten Szenen florales Schwarz Weiß, das auf Wurzelwerk und die finale Metamorphose von Atys voraus weist. Dass dessen Körper dann allerdings gen Schnürboden entschwebt, ist in der Übertreibung vielleicht ein Ausgleich für sein aus dem sonst höchst geschmackvollen Rahmen fallendes Jogginghosen-Outfit.

Der Charme der Inszenierung besteht aber in ihrer insgesamt überzeugenden und stimmigen minimalistischen Opulenz, die viel Raum dafür lässt, die Musik zur Bewegung werden zu lassen. Die singenden Protagonisten werden von tanzenden Alter Egos gedoubelt. Eine unmittelbar der Musik abgelauschte Bewegungschoreographie des fabelhaften 18köpfigen Ballet du Grand Théâtre de Genève und ein halbes Dutzend weiterer Protagonisten in 15 kleineren Rollen ergänzen das Personaltableau. Bewusst verzichtet Preljcaj auf eine Unterteilung in eine getanzte und eine gesungene Geschichte. Die Tänzer singen zwar nicht, aber die Sänger sind allemal imponierend in den tanzenden Ausdruck der Gefühle eingebunden.

Der US-amerikanische Tenor Matthew Newlin (Atys) ist der Mann zwischen der mezzoberedten Giuseppa Bridelli, der als Cybèle ebenso eine Herrscherattitüde zu Gebote steht, so wie sie auch in der Wut noch die verletzte Frau durchscheinen zu lassen vermag. Auf der anderen Seite muss sich auch Sopranistin Ana Quintans als Sangaride neben der gefühlvoll liebenden eine kämpferische Seite zulegen. Bassbariton Andreas Wolf schließlich darf als der sowohl vom Freund als auch von der Braut hintergangene Célénus mit markanter Eloquenz seine Enttäuschung zelebrieren.

Dem Grand Théâtre de Genève ist mit dieser Produktion ein vom Premierenpublikum einhellig bejubeltes Gesamtkunstwerk der französischen Art gelungen. Vor Beginn der Vorstellung war es für Aviel Cahn ein Anliegen, mit Vehemenz Solidarität mit der Ukraine zu bekunden. Auf Schweizer Neutralität unter allen Umständen behaarte nur ein Zwischenrufer.

Noble Zurückhaltung des Leidens: In Genf lösen Angelin Preljocaj und Leonardo García Alarcón Lullys „Atys“ tänzerisch traumschön

Manuel Brug - Brugs Klassiker – 28 février 2022

source: https://brugsklassiker.de/noble-zurueckhaltung-des-leidens-in-genf-loesen-angel…

 

2011, da gab es ein besonderes Déjà-Vu in Versailles. Da war in der nobel klassizistischen in fabulösem Gold-Blau gehaltenen Opéra royal erst die tragédie lyrique „Atys“ angesetzt war und danach am Grand Canal zauberisch nächtliche Fêtes venetiennes mit gigantomanischem Feuerwerk, Masken und Gondeln zelebriert wurden. Jean-Baptiste Lullys Fünfakter von 1676, wegen seiner bis hin zum Melodienpfeifen in den Schlossfluren gehenden Beliebtheit beim Auftraggeber auch „L‘opera du Roy“ genannt, handelt von einem phrygischen Halbgott, in den sich die Göttin Cybele verliebt, als deren Priester er dient. Er aber wiederum liebt die Nymphe Sangaride. Das muss tödlich enden. Die Nymphe stirbt von seiner Hand, er auch und wird zur Pinie.

Die 1987 unter William Christie eingespielte und damals auch szenisch aufgeführte Oper markierte den Beginn der Renaissance französischer Barockbühnenwerke im eigenen Land. Lauter später berühmte Alte-Musik-Größen waren damals dabei. Marc Minkowski spielte Fagott, Christophe Rousset saß am Cembalo, Veronique Gens und Hervé Niquet sangen im Chor.

Ein amerikanischer Bankier hat dann vor elf Jahren die Rekonstruktion samt Videoaufzeichnung dieser legendären Produktion in der klug zurückhaltenden Regie Jean-Marie Villegiers und der beziehungsreich schönen Ausstattung von Carlo Tommasi und Patrice Chauchetier finanziert. Sie wurde in der Opéra comique, in Bordeaux, Caen und New York gezeigt. Ihren Höhepunkt fand sie aber vor je 700 Auserwählten in Gabriels nobel klassizistischer Opernrotunde. Die ist fast 100 Jahre jünger ist als das Stück, trotzdem fungierte sie perfekt als vierte Wand. Denn auf der Bühne wird eigentlich das Schicksal Ludwig XIV. verhandelt. Hinterher sah dann der eine oder andere Opernbesucher zusammen mit 7000 anderen Zuschauern auf Tribünen im Park Flammen werfende Drachen, Feuerschlangen vor dem Schloss, Fontänenzauber auf dem großen Kanal. Dazu Lichtspuk zwischen Vegas und Versailles, sogar zwei paddelnde Fiat Cinquecentos als Hommage an das Heute. Ein königliches Vergnügen.

Nüchtern, dunkler, konzentrierter geht es jetzt am Grand Théatre de Génève zu, wo der versatile Intendant Aviel Cahn den albanofranzösischen, in Aix residierenden Choreografen Angelin Preljocaj beauftragt hat, als Gemeinschaftsarbeit mit dem Ballett dieses mythologische Barockspektakel ganz und gar heutig zu gestalten. Und am Pult steht, wie schon vor zwei Jahren, als sich Lydia Steier und Demis Volpi Rameaus exotischem Tanzdivertissement „Les Indes galantes“ annahmen, der in Genf lehrende Argentinier Leonardo García Alarcón, der mit seiner Cappella Mediterranea dem Opernhaus schon länger verbunden ist. 

Alarcón aber leitete, nach einer Rede des Intendanten zum aktuellen Konflikt (die ihm auch Buhs einbrachte, als er den Neutralitätsstatus der Schweiz ansprach) zunächst eine mollgefärbte, von der Blockflöte begonnene, vermutlich erstmals von einem Barockorchester intonierte Version der ukrainischen Nationalhymne.

Angelin Preljocaj in seiner ersten Musiktheaterregie inszeniert die für eine französische Barockoper erstaunlich schnörkellos erzählte Geschichte fehlgeleiteter Leidenschaften (für die unerwiderte Liebe von Cybele wie des Königs Celenus müssen Atys und Sangaride büßen) ganz aus dem Tanz heraus. Zunächst wird im gerafften Prolog die Ausgangsgeschichte mitgeteilt, alle Beteiligten erscheinen in Straßenkleidern, Hoodis und Turnschuhen auf der leeren Szene; doch schnell wandeln sich Prune Nourrys Bühne und Jeanne Vicérials Kostüme. Alles bleibt schlicht, doch eine angeknackste, aber begehbare Wand aus uralten Steinen, immer mehr sich einer fernöstlichen Ästhetik annähernde Kostüme in Schwarz, Weiß und Grau, mit aparten Hutformen und Stangen schaffen traumschön minimalistische Bilder und Arrangements, die sich sanft wandeln.

Stark eingebunden ist mit 17 Tänzern das Ballet du Grand Théâtre, das so kraftvoll wie geschmeidig sich immer wieder die Szene für die typischen, hier stark reduzierten Barock-Divertissements erobert, wenn sich das Geschehen nach der Pause eindüstert, aber zurücktritt. Sowieso integriert Preljocaj perfekt Tanz und durchaus psychologische Personenführung, ohne dass die Tänzer das Singpersonal einfach verdoppeln.

Oftmals wirken trotzdem die synchronisierten Aktionen als organische Verlängerung und Vergrößerung des sängerischen Tuns: Besonders bei dem auch vokal verletzbar fein klingenden Tenor Matthew Newlin als todtrauriger Atys, der aus seinem Dilemma zwischen Liebe und Treue keine Lösung findet, am Ende mit einer Wunde aus der (als einzige bunte Farbe) wie bei der toten Sangaride Blumen blühen) vor einem fast humanoiden Baumskelett zum Bühnenhimmel aufsteigt. 

Aber auch die soprandunkel tönende Anna Quintans (Sangaride) und die leidenschaftlich mezzoflammende Giuseppina Bridelli (Cybèle) vermögen es großartig, die gestische Rhetorik Preljocajs, teilweise auch expressiv dramatisch auf Steinquadern liegend, klanglich wie kinetisch sich anzuverwandeln. Und fungieren so, wie auch das andere, sorgfältig ausgewählte Ensemble (Andreas Wolf als markanter Celénus an der Spitze), als höchst lebendige Umsetzer von Lullys vielgestaltiger musikalischer Bewegungssprache in überraschende, originelle Bilder.

Am Schönen geraten ist die berühmte Schlafszene im dritten Akt, Nicholas Scott (le Sommeil) gebietet hier über eine Art barocke Revue in Zeitlupe, die sich kaleidoskopartig in immer neue Formationen teilt. Das Publikum hielt den Atem an, weil Leonardo García Alarcón, mit seiner Cappella Mediterranea sonst eher im italienischen Terrain unterwegs, der französischen Partitur perfekt ausbalancierte Leichtigkeit wie Schwere gibt. Da langweilt kein Moment, aber er sucht auch nicht die überspitzte Dynamik, erzählt in köstlichen Verzierungen und in engster Verzahnung mit der Bühne ein fernes, uns trotzdem rührendes Geschehen. Das ist so klug, wie unterhaltsam, emotional tiefgründig wie schön. Und tut gerade in diesen zeithistorisch schweren Stunden einfach nur gut.

Aviel Cahn hat seinem bunt aufgestellten, nur selten überintellektualisierten Opernbetrieb ein weiteres, gut ausgewähltes, monochrom funkelendes Bijoux eingefügt. Und mit Peter Eötvös‘ meditativ-düsterer Kreation „Sleepless“, die aus dem koproduzierenden Berlin anreist, steht schon wieder die nächste gelungene, wenn auch nicht restlos überzeugende Produktion im Grand Théâtre du Génève an.

Eine königliche Oper - Neues Leben für Jean-Baptiste Lullys „Atys“

Roberto Becker orpheus-magazin.de – 2 mars 2022

source: https://www.orpheus-magazin.de/2022/03/02/eine-koenigliche-oper/

 

Als „Atys“ 1676 uraufgeführt wurde, war die Welt zwischen Jean-Baptiste Lully (1632-1687) und seinem königlichen Auftraggeber Ludwig XIV. (1638-1715) noch in Ordnung. Da wusste man, wie sehr der Sonnenkönig von dieser Tragédie en musique angetan war. Was wohl kaum an der Huldigung an ihn gelegen haben dürfte, die damals den Prolog der fünfaktigen Melange aus Musik und Tanz einleitete. Die gehörte zur Konvention des Hofes und kann heute getrost weggelassen werden.

Neben seinem musikalischen Einfallsreichtum ist „Atys“ das erste Werk seiner Art, bei dem der Held am Ende stirbt. Die Oper ist also auch vom Sujet her hinreichend originell, um sich in die Reanimations-Ambitionen einzureihen, die auch die Anfänge der französischen Oper eine Epoche vor Rameau einbeziehen. Dass Genf seinen „Atys“ mit der Opéra Royal de Versailles koproduziert, dürfte diese dezent moderne, zwischen Musik und Tanz changierende Inszenierung zusätzlich in ein authentisches Licht rücken.

Leonardo García Alarcón und seine Cappella Mediterranea sorgen mit feinziseliertem und eng mit Gesang und Bewegung verwobenem Musizieren für einen suggestiven Sound, der mühelos durch den dreieinhalbstündigen Abend trägt. Dieser verbindet sich beglückend organisch mit der intelligent ausgeklügelten Doppelbödigkeit der regieführenden Choreografen-Ikone Angelin Preljocaj. Die Bühne von Prune Nourry kommt mit einem Hintergrund erst einer archaischen Mauer und dann von floralen Baum- und Wurzelkreationen aus. Auch die fantasievoll zeitlosen und bewegungsfreundlichen, immer wieder wechselnden Kostüme von Jeanne Vicérial fügen sich in das Gesamtkunstwerk, bei dem ein tragisch endendes Beziehungsviereck auf die finale Katastrophe zutreibt. Bei der der Held erst im Wahn seine Geliebte und dann, bei klarem Verstand, sich selbst umbringt, um als Baum zu enden.

So ist das halt, wenn die Göttin Cybèle (mezzosatt: Giuseppina Bridelli) vom Objekt ihrer Begierde Atys (mit Verve: Matthew Newlin) zurückgewiesen wird, weil der von seiner Liebe zu Sangaride (gefühlvoll: Ana Quintans) nicht lassen will und die obendrein Atys’ Freund Célénus (profund: Andreas Wolf) heiraten soll. Die Eskalation der Konflikte, samt des von Atys provozierten Eklats bei der Hochzeit oder der atemberaubenden Schlummer-Nummer, wird allemal in direkter Verdopplung der Sänger durch tanzende Paare oder sich separat entfaltenden, immer unmittelbar der Musik folgenden getanzten Einlagen verblüffend schlüssig in die Dimension der Bewegung erweitert. In Genf ist ein Wurf gelungen, bei der die Opulenz einer königlichen Oper auch in der eher reflektiert modernen Nüchternheit aufscheint.