Le Couronnement de Poppée

Claudio Monteverdi
Le Couronnement de Poppée

opéra en un prologue et trois actes
du 30 septembre au 1 octobre 2021

Direction musicale Ivan Fischer
Mise en scène Ivan Fischer & Marco Gandini
Scénographie Andrea Tocchio
Costumes Anna Biagiotti
Lumières Tamás Bányai
Régie Wendy Griffin Reid
   
Nerone Valer Sabadus
Poppea Jeanine De Bique
Ottone Reginald Mobley
Drusilla Núria Rial
Ottavia - Virtù Luciana Mancini
Arnalta - Nutrice Stuart Patterson
Seneca Gianluca Buratto
Soldato 1 - Lucano - Famigliare 1 Thomas Walker
Soldato 2 - Liberto - Famigliare 2 Francisco Fernandez
Famigliare 3 - Littore - Tribuno Peter Harvey
Fortuna - Damigella Silvia Frigato
Valletto - Amor Jakob Geppert

Budapest Festival Orchestra


Production de la Iván Fischer Opera Company coproduite par le Grand Théâtre de Genève, le Budapest Festival Orchestra, le Müpa Budapest et le Vicenza Opera Festival

Grand Théâtre de Genève

Vos critiques

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Revue de presse

L'univers d'Ivan Fischer: j'ai même rencontré Monteverdi

Guy Cherqui — Wanderersite.com - 4 octobre 2021

source: https://wanderersite.com/2021/10/lunivers-divan-fischer-2-jai-meme-rencontre-mo…

 

Le Grand Théâtre de Genève a conclu un accord avec le Vicenza Festival Opera et le Budapest Festival Orchestra pour présenter les productions annuelles du Festival de Vicence, qui sont proposées dans le merveilleux Teatro Olimpico di Vicenza, le chef d’œuvre de Palladio. L’incoronazione di Poppea, arrive donc à Genève, après le Palais de la musique de Budapest (MÜPA) (début septembre), et avant Vicence (fin octobre), après qu’eut été proposé en 2019 L’Orfeo. Les conditions de production expliquent peut-être la déception consécutive à la représentation, mais c’est encore et toujours la question de la mise en scène qui nous interpelle ici.

 

Iván Fischer est sans discussion un des grands chefs de sa génération (il vient d’avoir 70 ans) et en même temps un esprit libre, qui fait de la musique comme il aime, sans égard pour les attentes et les modes. C’est positif lorsqu’il fait chanter son orchestre ou lorsqu’il propose une soirée dédiée aux tziganes comme à Lucerne (voir notre article ci-dessous), c’est discutable lorsqu’il s’essaie à la mise en scène, comme pour l’Orfeo il y a deux ans, ou comme pour cette Incoronazione di Poppea.
Pour comprendre l’entreprise, il faut avoir qu’elle part de Budapest, et d’une salle, le Palais de la musique et des congrès, assez voisine de celle du KKL de Lucerne, dans laquelle depuis son inauguration on pratique la représentation semi-concertante, notamment lors du festival Wagner annuel dirigé par Adam Fischer, le frère d’Iván.
Et quand on connaît cette salle on comprend comment la mise en scène d’Iván Fischer et Marco Gandini s’insère esthétiquement et architectoniquement au MÜPA.
Par ailleurs, l’espace scénique du Teatro Olimpico de Vicenza est assez réduit, et fortement marqué par la présence d’un décor fixe de Vincenzo Scamozzi qui est l’un des grands chefs d’œuvre de l’histoire de la scénographie, la première scénographie qui nous soit parvenue intacte, et qui s’adapterait sans doute à l’Incoronazione di Poppea. Certainement plus que l’esthétique des décors d’Andrea Tocchio vus à Genève. On serait curieux de voir l’adaptation à l’espace de l’Olimpico.
Entre le MÜPA et Vicenza, le Grand Théâtre de Genève est le seul théâtre au sens moderne du terme, et donc la production est accueillie sur la scène, où elle perd sa qualité première, être adaptée à une salle de concert, sans gagner par ailleurs en qualité esthétique ou dramaturgique.
Alors on peut s’interroger sur les raisons de cet accueil à Genève, sans la mesure où Aviel Cahn a placé la barre plutôt haut en matière de mise en scène, et encore plus après l’impressionnante production de Guerre et Paix.
La raison en est sans doute d’abord économique, dans la mesure où ce spectacle qui tourne, cofinancé par trois institutions, coûte beaucoup moins cher qu’une « vraie » nouvelle production, permet d’afficher une production de plus dans la saison, tout en étant musicalement très défendable, dans la mesure où le Budapest Festival Orchestra est l’un des grands orchestres européens, et Iván Fischer une des grandes baguettes de ce temps.

On dira que du point de vue du rapport qualité-prix, c’est une opération blanche, car on ne peut soupçonner Aviel Cahn d’ignorer la qualité scénique du spectacle qu’il accueille…
Alors, pour deux représentations, on peut, comme on dit « fermer les yeux ».

En mettant en scène, Iván Fischer se place dans le sillage d’autres chefs, par exemple de Karajan, et c’est à oublier. En co-réalisant avec Marco Gandini, il travaille avec un metteur en scène de la tradition italienne, ni pire ni meilleur que d’autres, bien inséré dans le tissu théâtral italien, et qui travaille aussi en Russie, en Roumanie, en Estonie.
Pourtant, il y a une erreur de départ dans cette réalisation.
L’Orfeo de Monteverdi a été donné d’abord en 1607 dans une salle de musique aux dimensions contenues du Palazzo Ducale de Mantoue, mais L’incoronazione di Poppea, créé un peu moins de quarante ans plus tard, l’a été pour un théâtre de Venise, à un moment où le genre « opéra » s’est déjà installé dans la cité des Doges, pour un public de citoyens payant leur place et non pour une cour. L’un est une expérience privée, la naissance d’un genre, l’autre une œuvre d’une autre dimension.
Or, le choix a été d’en faire, sous la loi du semi-scénique dans une salle de concert, une sorte d’expérience de salon, car l’idée est celle d’une représentation de salon, qu’on pourrait accepter dans un palais privé de Venise ou de Mantoue, mais qui va mal dans un théâtre.
Ainsi peut ‑on comprendre les fameux « clins d’œil » au public, l’humour sous-jacent (qui existe dans l’œuvre d’ailleurs), avec cette Poppea en maillot qui semble sortir d’un concours de Miss, ou ce petit amour joué et chanté par un enfant, voire ces coussins dorés, ou la Venus de Botticelli qui parle. Artifices qui peuvent fonctionner dans un salon où l’on vient pour se divertir, dans le cadre d’une fête privée suivie d’un Bal masqué ou d’un feu d’artifice dans le parc… mais il en faut plus au théâtre
Et Iván Fischer se divertit : il se divertit en passant d’un clavier à l’autre, en faisant marcher au pas ses violonistes, en insérant l’orchestre dans le décor, comme pour dire, "voilà une œuvre d’art totale, où chanteurs et orchestre sont mêlés, dans le même espace, pour notre plaisir". Il y a une sorte de légèreté dans ce spectacle, qui ne se prend pas au sérieux, et qui convient bien à un divertissement de cour, mais pas à un théâtre. Alors, la représentation genevoise accuse forcément le coup : dans un espace qui ne correspond en rien à l’entreprise, elle sonne creux.
Le vrai problème est surtout dramaturgique.
L’incoronazione di Poppea est déjà une forme accomplie de l’opéra : le livret de Giovanni Francesco Busenello est d’une très grande qualité, riche en analyse psychologique, en diversité des personnages, et il s’appuie d’abord sur les Annales de Tacite, qui n’était vraiment pas tendre avec Néron. C’est un livret qui montre les abus de pouvoir et les ravages du "bon plaisir", représenté dans la cité des Doges qui rappelons-le, est une République, considérée comme un « îlot » de liberté où ne régnait pas l’arbitraire absolutiste (il suffit de lire I promessi sposi de Manzoni pour le mieux saisir).
Le livret de Busenello offre aussi une diversité de caractères, de la fraicheur naïve de Drusilla à l’ambiguïté d’un Sénèque, et qui affiche l’opposition entre une Poppea ambitieuse qui utilise son corps comme outil, et une Ottavia un peu ennuyeuse, jusqu’au souverain qui affiche une confusion terrible entre pouvoir et bon plaisir, caractère de l’absolutisme.
C’est un livret plein d’ironie, très bien agencé, un sommet dramaturgique et psychologique que l’opera seria du XVIIIe, au moins jusqu’à Haendel, et la tragédie lyrique de Lully n’arriveront pas à mon avis à égaler. Bref, de la matière à faire une vraie mise en scène.
En proposant une mise en scène qui en fait une pochade superficielle bien plus, en affichant la légèreté souriante plutôt que du vrai théâtre, l’esprit de l’œuvre est trahi.
Mais il y a un paradoxe : on est dans le contresens, mais on ne s’ennuie pas (trop) et le temps passe assez agréablement, sans trop se poser de questions, comme dans tout théâtre de divertissement. De l’Entertainment qui se laisse voir, le public glousse quelque peu face au corps de Jeanine De Bique ou à sa ridicule nourrice, l’Arnalta travestie de Stuart Patterson, il sourit, attendri, face à l’enfant/amour du jeune Jakob Geppert. Bref, ça passe tranquillement et surtout, cela ne remue pas l’esprit qui continue tranquillement à dormir.

 Seul moment plutôt réussi, le duo final « Pur ti miro, pur ti godo », il est vrai un des sommets de la musique d’opéra, où le couple est installé dans ce qui figure une barque, voire une gondole, avec amour comme gondolier (on est à Venise…), la musique sublime et l’image reste l’une des grandes réussites de la soirée.

Le décor est léger lui aussi, il faut un décor très élémentaire qui puisse à la fois voyager et surtout entrer sans encombre dans la salle du MÜPA, pour laquelle il est conçu, et qui permette à l’orchestre de s’installer selon diverses configurations.
Les costumes d’Anna Biagiotti sont plutôt contemporains et convenus, ridicule pour Arnalta, plutôt triste pour Ottavia, un peu revue Broadway pour Poppea, pour Sénèque et ses disciples, un costume de randonneur, allez osons, de Wanderer de la pensée, celui qui est à part, et qui regarde le monde en le jugeant (à l’ombre de l’empereur quand même, jusqu’à la seule fois où il dit non… qui lui est fatale). L’empereur est en blanc, assez élégant, d’une légèreté et d’une souplesse bien métaphorique de la soirée. Un Néron léger et monstrueux, monstre naissant comme dirait Racine.
Quant à Poppea, même si le livret ne l’accable pas, on se l’imagine complotant pour arriver à être impératrice, ambitieuse et sans scrupule, comme beaucoup d’historiens (pas tous) nous le rapportent. Selon certains, elle meurt d’un coup qui lui est porté par Néron alors qu’elle est enceinte, selon d’autres, elle meurt en couches, et de toute manière honorée par Néron et quasi divinisée. Mais rien de cette complexité-là dans la mise en scène qui ne soigne des personnages que leur pellicule extérieure, mais bien peu leur caractère. Ainsi ce qui marque ce spectacle, c’est la frustration d’être devant un chef d’œuvre qu’on traite un peu par dessous la jambe, en n’en livrant qu’une infime partie superficielle, car même la mort de Sénèque, le moment le plus dur de l’opéra, qui rentre dans sa baignoire dorée (on dirait un vague souvenir de la mort de Marat) pour mourir (en effet, on s’ouvrait les veines dans son bain, pour permettre au sang de couler et s’affaiblir sans douleur jusqu’à la mort), habillé en randonneur n’a pas de grandeur scénique.

Comme on l’a dit, le spectacle tient bien mieux la route musicalement, en dépit de quelques fragilités dans la distribution.
Le Budapest Festival Orchestra en formation baroque montre encore une fois la plasticité de l’entreprise fondée par Iván Fischer et Zoltán Kocsis. Iván Fischer aime que la musique fasse aussi spectacle, et divertisse : nous l’avons vu à Lucerne dans le concert tzigane. Ici c’est la version baroque de l’univers Fischer. Musicalement les choses sont comme toujours rigoureuses, avec un visible plaisir de jouer où le chef ne s’impose pas, mais devient un musicien parmi les autres, un peu comme à l'origine de l'opéra où le chef n'existait pas. La configuration voulue fait de l’orchestre un protagoniste, musical et scénique, on voit les cordes à la fin jouer tout en marchant au pas de l’oie, par ailleurs ils assistent à la représentation, comme un chœur muet qui regarde le spectacle du pouvoir amoureux, c’est une idée scénique possible, ici traitée juste comme une esquisse.  Cet orchestre fait de musiciens quelquefois figurants qui participent à l’action produit un son élégant, clair, souvent discret : Fischer n’impose jamais la musique qui reste une compagne de la trame, on side plutôt que in front of, il laisse les voix être protagonistes. Toujours ce choix d’une musique pour espace privé, pour la distraction, avec les limites qu’on a évoqué. Mais c’est l’univers voulu par Iván Fischer, c’est sa singularité. On accepte ou on part à l’entracte.

Les choix vocaux indiquent aussi quelque chose qui va contre la dramaturgie.
Je reste marqué, je l’évoque souvent quand je vois une représentation de l’Incoronazione di Poppea, de ma première fois à l’Opéra de Paris où la distribution était celle d’une Walküre ou d’un Siegfried, avec Jon Vickers en Nerone et Gwyneth Jones en Poppea : le duo final était celui de deux monstres qui s’attendrissaient l’un l’autre, et l’idée de pouvoir monstrueux était portée par un Vickers proprement hallucinant, et Gwyneth Jones n’était évidemment pas en reste. Certes, musicalement (version Leppard) on était loin des versions actuelles, et la mise en scène n’était qu’illustrative, mais dramaturgiquement, les personnages étaient plantés, ils étaient déjà des mythes.

 Dans cette production dominée par l’idée presque obsessionnelle de légèreté, c’est plus ambigu, car même un Nerone mezzosoprano s’affirme plus scéniquement que le choix d’un contreténor pour Néron. Un Néron aussi évanescent que Valer Sabadus, une sorte d’ado attardé, est sans doute intéressant dans l’idée du monstre naissant racinien. La voix légère mais bien posée, qui ne manque pas de puissance, fait aussi effet a contrario : c’est une légèreté qui pèse lourd. Ce Nerone semble bien inoffensif et pourtant il ne cesse de jouer comme un sale gosse avec les vies surtout quand on lui refuse son hochet. C’est la voix et le physique de Valer Sabadus qui nous l’indiquent, mais rien dans la mise en scène simplement parce que la conduite d’acteur pour tous les personnages reste aussi vaporeuse que le costume de Nerone. L’idée de départ est intéressante, mais guère menée à son terme.
Plus ambiguë la Poppea de Jeanine De Bique. Elle est superbe vocalement, avec un soin donné à la couleur, à l’énergie, mais aussi au lyrisme, et quelquefois à l’émotion ; elle montre une forte personnalité scénique, et pas seulement parce qu’elle déambule comme Miss Roma. Le personnage garde néanmoins son mystère : certes, amour triomphe, mais n’est-ce pas un leurre que ce final en tableau qui rappellerait presque une sorte de fresque pompéienne pour « la galerie ». Les vêtements clinquants, l’exposition du corps nous dit plutôt le jeu trouble de celle qui monte par les alcôves. La chanteuse est superbe, à tous niveaux, mais la mise en scène ne travaille pas le personnage, là encore, tout passe, sans réelle prise. Quelques paillettes et puis s’en vont.
L’Ottavia de Luciana Mancini est très correcte vocalement, mais sans véritable prise dramatique non plus. Son air d’entrée Disprezzata regina manque de poids, l’Addio Roma est un peu mieux assis, mais on n’arrive pas à prendre au sérieux le personnage, qui laisse indifférent. Elle est plus convaincante dans la Virtù et d’ailleurs la scène du prologue qui présente Virtù, Fortuna e Amore est plutôt réussie, qui nous invite aussi a ne pas prendre trop au sérieux ce combat (costumes à la Walt Disney etc..).
Moins convaincant Stuart Patterson dans Arnalta, nourrice de Poppea et la "Nutrice", la nourrice d'Ottavia. La raison en est simple : le personnage est une caricature, conçu comme tel dès l'origine, qui est le seul réel personnage comique de l'œuvre. Stuart Patterson est physiquement crédible, vocalement acceptable, mais le personnage est entre deux eaux, insuffisamment caricatural dans l'expression et dans la couleur, même dans son dernier air où il se voit "grande dame": et quand la caricature est insuffisante, la vulgarité n'est pas loin.
La Drusilla fraîche de Núria Rial réussit au contraire à imposer son personnage de manière presque immédiate, grâce à une vraie présence scénique, un chant bien posé, un phrasé clair. Parmi les personnages féminins, elle est l’exact opposé de Poppea. Busenello le librettiste joue-t-il l’opposition sincérité/duplicité, immédiateté /contrôle de tous les instants. En tous cas, le rôle est très bien porté.
On ne peut pas en dire autant d’Othon, Reginald Mobley, lui aussi contre-ténor, mais d’une rare fadeur, et bizarrement fagoté en une sorte de secrétaire, impossible à identifier au départ. Or, Othon est dans l’histoire le premier mari de Poppea, et aussi le futur empereur (de la fameuse année des quatre empereurs qui suit la mort de Néron). Rien dans la mise en scène ne nous dit ce qu’est le personnage, vu comme une sorte de second couteau sans importance. Un Othon un peu plus affirmé donnerait un tout autre relief. Et la mise en scène là encore ne dit rien, et laisse faire sans intervenir. Sinon dans un suivi littéral du livret. Dans le cas de ce personnage c’est assez pitoyable.
Seneca, chanté par Gianluca Buratto est sans doute avec Jeanine De Bique la voix la plus affirmée, la plus sentie, et la plus intéressante, qui transcende le personnage un peu caricatural voulu par la mise en scène. il est vrai que Monteverdi lui réserve des interventions importantes, et que cette voix grave dans cet océan de voix plus légères fait aussi un effet théâtral en-soi. On remarque d’ailleurs comment l’ironie du livret est soulignée. Voilà le précepteur de Néron, celui qui l’a éduqué aux vertus cardinales du souverain, qui constate simplement l’effet de ses leçons et de ses préceptes, et le paie de sa vie. Peut-être (?) la mise en scène veut elle traiter ainsi le personnage en professeur Nimbus qui ne voit pas la réalité du monde, montrant les vanités de la philosophie face aux monstres et au réalités de la vraie vie.
Les interventions des rôles moins importants sont plutôt satisfaisantes, où les chanteurs assument plusieurs rôles, Peter Harvey, Francisco Fernandez-Rueda, la délicieuse Silvia Frigato en jolie Venus qui « double » celle de Botticelli, et le Lucano de Thomas Walker, qui a une scène avec Nerone, avec une vraie signification : après la mort de Sénèque, Lucano (le poète latin Lucain) se réjouit avec Néron. Cette scène est là aussi ironique, parce que Lucain recevra peu après l’ordre de s’ouvrir les veines, à l’instar de Sénèque. Dans la mise en scène, rien n’est indiqué ni senti et Lucano semble arriver comme un cheveu sur la soupe ; on l’impression que tout est fait pour rendre le livret insipide.
Enfin, l’idée de confier à une voix d’enfant Amore et Valletto est scéniquement séduisante et sympathique, mais le rôle demande une stabilité que le jeune Jakob Geppert, de la Chorakademie de Dortmund, n’a pas encore tout à fait, même s’il est à l’aise scéniquement,.

Il est difficile de qualifier ce moment d’opéra. Disons que c’est un divertissement qui affirme hautement sa superficialité parce que la mise en scène réussit ce prodige de ne quasiment rien valoriser du livret pourtant assez profond de Giovanni Francesco Busenello. Il s’agit simplement de cueillir le moment, carpe diem dirait Horace, sans trop se poser de questions.
C’est une option surprenante, soit imposée par les circonstances, soit par la volonté de laisser l’opéra en jouissance immédiate, à l’opposé de tout ce que nous aimons notamment pour des œuvres de ce poids. Décevant, et sans grand intérêt.
Il reste que c’est tout de même un joli moment musical avec une distribution correcte qui vaut pour le Nerone trouble et en devenir de Valer Sabadus, pour le Senèque de grand niveau de Gianluca Buratto, et surtout pour la Poppea de Jeanine de Bique que nous avions découverte dans son Annio émouvant de la Clemenza di Tito dans la version Currentzis à Genève en 2017 ; nous écrivions alors, « Annio était confié non à un mezzo mais au jeune soprano Jeanine De Bique, originaire de Trinidad et Tobago, qui a donné au personnage une présence très forte et très émouvante, une voix vibrante, à la ligne impeccable, et surtout une présence particulièrement sensible » .

 

Un «Couronnement de Poppée» anecdotique au Grand Théâtre de Genève

Sylvie Bonier – Le Temps - 3 octobre 2021

source: https://www.letemps.ch/culture/un-couronnement-poppee-anecdotique-grand-theatre…

 

La mise en scène de l’opéra de Monteverdi par Ivan Fischer laisse une impression mitigée

Heureusement, il y a le dernier duo d’amour Pur ti miro, pur ti godo, sublime hymne à l’accomplissement amoureux et au flamboiement du désir. Lors de ce moment enfin dépouillé, où la lumière attise les sens dans une nuit vibrante, Néron et Poppée s’abandonnent finalement à leur passion, allongés entre deux sièges dorés formant un lit au sol.
La sculpturale Jeanine De Bique, aux pianissimi si suaves et à la voix si rayonnante, prend ici toute la mesure de la grandeur de Poppée, tant vocale que sentimentale et impériale. De son côté, le contre-ténor Valer Sabadus, au timbre souvent poudré, atteint une forme d’épanouissement musical. Ses longues tenues dans l’aigu donnent là chair et vie à son chant. Avant cela, Le Couronnement de Poppée conçu par Ivan Fischer ne convainc que par certaines voix, la finesse de l’orchestre de cordes féminin, la délicatesse du luth et le subtil continuo de l’Ensemble baroque du Budapest Festival Orchestra.

Une poupée courtisane
On pourrait fermer les yeux sur le décor d’Andrea Tocchio, aux coussins dorés disposés sur un escalier barrant l’espace. Et oublier les costumes plutôt tristes d’Anna Biagiotti, à part l’ensemble blanc de Néron, les tenues scintillantes de Poppée et la longue robe bleue d’Ottavia.
Quant à la mise en espace (plutôt qu’une mise en scène à proprement parler), on y voit le chef passer de cour à jardin entre clavecin et positif, et donner assis quelques signes de main dont les musiciens pourraient presque se passer. Pas de réelle tension entre le pouvoir et le désir, peu de réflexion, si ce n’est des caprices d’enfants gâtés sur des voix parfois mal assurées.